Biennale de Venise 2015 – Partie II – Le vaisseau Arsenal

On poursuit la visite de l’exposition de la 56^ème Biennale de Venise à L’Arsenal, où les anciens bâtiments de la corderie dénomés « l’ Arsenal » accueillent la deuxième partie de l’exposition « All the World’s Futures ». On pénètre dans la grande nef, de 350 mètres de long, par une salle plongée dans le noir, où plusieurs œuvres en néons de Bruce Nauman et  une installation de Adel Abdessemed distillent une atmosphère menaçante…

Dans la halle numéro 2 de l’ Arsenal, on est guère plus rassuré par les sculptures en acier de Melvin Edwards. Accrochées comme des masques à hauteur d’homme, ces associations d’objets industriels, forment un ensemble de « visages humains » abstraits plutôt agressifs. De même, bien que Monica Bonvicini soit reconnue pour critiquer dans ses œuvres avec humour les symboles du pouvoir masculin, ses sculptures suspendues faites de tronçonneuses agglomérées, non rien de rassurant…

Dans cette partie de l’exposition, je me suis également attardée sur les œuvres, en nombre, de Terry Adkins et sur les douze herbiers, appelés Paperwork, and the Will of Capital de Taryn Simon. Un travail, comme toujours, extrêmement documenté, réfléchi et délicat, de cette artiste new-yorkaise qui interroge comme nul autre les paradoxes de notre modernité.

Retour des émotions salle 5 de l’ Arsenal avec les somptueuses peintures de Chris Ofili et la vidéo The Bell de l’artiste iraquien Hiwa K. Depuis longtemps dans l’histoire, on fond des cloches avec des rebus de métal issus d’armes militaires, ou inversement. Mais, dans cette vidéo, ce qui touche, bien plus que le sujet hautement symbolique qu’elle développe, ce sont les relations humaines fortes que l’artiste noue avec les différents protagonistes et le rapport à sa propre histoire en tant qu’iraquien. Toujours dans cette salle, à voir également, deux sculptures, celle de l’artiste congolais Sammy Baloji, The Other Memorial, qui représente sur un quart de sphère en métal, des motifs de scarification issus d’archives de différentes communautés congolaises. Ce travail fait référence à l’enchevêtrement d’héritages coloniaux et des traditions qui lient l’Afrique et l’Occident. Une sculpture/ installation de l’artiste Argentin Eduardo Basualdo, qui travaille le passage entre le matériel et l’immatériel, le visible et l’invisible.

Salle 6, on s’attardera sur les vitrines « reliquaires » de l’artiste cubain Ricardo Breyet Salle 7, sur les peintures de Lorna Simpson, les figures anthropomorphiques « postapocalyptique » de Huma Bhabha, les sculptures textiles organiques de Sônia Gomez et le trône fait d’armes et de munitions de l’artiste mozambicain Gonçalo Mabunda. L’artiste examine à travers ses œuvres la mémoire collective de sa nation suite au colonialisme et aux guerres civiles. Le nom « lyrique » de ses trônes, The Knowledge Throne, The Throne of Non-Slavery, contraste avec la nature même des objets issus d’armes de guerre qui les composent. De même , la délicatesse du dessin et les couleurs acidulées de l’artiste vietnamienne Tiffany Chung, contrastent avec la violence des sujets qu’elle aborde. Ses ronds et petits points aériens représentent  sous forme de cartes très séduisantes  les déplacements de réfugiés de guerres.

La salle n°8, présente une grande installation « universelle » de l’artiste camerounais Barthélémy Toguo. Sur des échelles triangulaires, sont disposés près de cinquante énormes tampons de bois, reprenant des slogans de manifestations, comme autant de cris de personnes souffrant d’injustices à travers le monde. Un requiem urbain qui médite sur nos destins contemporains et qui gronde, gronde, gronde…

On s’arrête ensuite un petit moment sur l’œuvre vidéo de Mikhael Subotzky, puis on passe dans la salle des huit gigantesques autoportraits, la tête à l’envers, de Georg Baselitz. La dernière œuvre qui a retenu toute mon attention dans l’exposition « All the World’s Futures » à l’Arsenal est l’œuvre intitulée The portrait of Sakip Sabanci de l’artiste turc Kutlug Ataman. Constituée de 10 000 petits panneaux LCD, au format d’une photographie d’identité, l’œuvre se déploie au plafond comme une vague en mouvement. Les portraits des personnes ayant connu le magnat turc Sakip Sabanci, forment ainsi une sorte de portrait collectif en hommage à ce grand philanthrope.

Un des temps forts de cette Biennale à l’ Arsenal est notamment le Pavillon de la Turquie. L’Istanbul Fundation for Culture & Art, qui organise depuis 1987, la participation turque à la Biennale de Venise a invité cette année l’artiste d’origine arménienne Sarkis. Une invitation certainement symbolique, alors que se célèbre le sinistre centième anniversaire du génocide arménien, mais qui n’aura pas empêché l’attribution très « politiquement correcte » du Lion d’or de cette Biennale au Pavillon de l’Arménie…L’artiste Sarkis est connu pour ses peintures au plomb sur l’envers d’une surface de verre à la manière de vitraux. Si, les trois œuvres présentées sur le Pavillon de l’Arménie semblent « anecdotiques » dans la scénographie générale du Pavillon, à l’inverse, celles présentées, comme un ensemble plus cohérent sur le Pavillon de la Turquie, crèvent les yeux ! A travers Respiro, l’artiste a su investir l’espace du Pavillon avec théâtralité, le transformant en une sorte de cathédrale de la mémoire et de la lumière. Magnétique !