Lucien Murat : âme sensible s’abstenir!
- Posted by Béatrice Cotte
- On 20 septembre 2016
Né en 1986, Lucien Murat est un jeune artiste de trente ans qui vit et travaille à Paris.
Lauréat en 2015 du Prix Arte Beaux-Arts Magazine, j’ai découvert son travail sur la foire Slick à l’occasion de la remise de cette récompense. Sensibilisée par mes études en Histoire de l’Art à l’art de la tapisserie ancienne, j’ai immédiatement trouvé dans son travail un intérêt et une résonnance évidente. Une manière originale et très personnelle de traiter le « textile » et la peinture, une façon de repenser et d’entremêler ces deux médiums « ancestraux » avec une contemporanéité fascinante.
Le processus de création chez Lucien Murat commence par un processus de recherche et d’accumulation. Il collectionne les canevas un tantinet kitsch qui reprennent de manière simplifiée les tableaux d’artistes « mythiques » ou des scènes de genre un peu mièvres. Généralement de petits formats, il assemble ces trames grossières pour atteindre les dimensions d’une tapisserie « classique ». Le support textile ainsi composé lui sert ensuite de toile pour peindre à l’acrylique des scènes apocalyptiques, chargées de motifs trouvés sur internet ou les réseaux sociaux. Le caractère ultra-violent et oppressant des sujets peints, vient contraster fortement avec le côté gentillet des sujets des canevas. Assemblés préalablement avec le souci de la composition finale, certains détails des travaux d’aiguilles, servent parfois d’élément de départ à un élément peint, comme une tête de clown ou de cerf.
Lucien Murat, réinvente la tapisserie d’histoire en peignant la violence de notre époque. Un début de XXIème siècle sur lequel pèse en permanence la menace terroriste. L’artiste avec un vocabulaire post 11 septembre 2001 (crash d’avions, kalachnikovs, drapeaux de Daesh,…) réinterprète les figures mythologiques, comme les centaures, les licornes, le Minotaure, afin d’essayer d’établir et de définir les mythes d’aujourd’hui.
Le résultat est loin des tapisseries de verdures bucoliques d’Aubusson ou des scènes galantes des tapisseries décoratives de Beauvais ou des Gobelins. Dans ses créations, les bordures se peuplent de virus Ebola, et les écussons sont des têtes macabres. Les figurent mythologiques ou religieuses mutent pour devenir de véritables monstruosités. La saturation des motifs du fond et le caractère violent des éléments peints par dessus provoquent chez le regardeur un sentiment d’oppression intense. En empruntant également une esthétique issue des jeux vidéo, de la bande dessinée, des réseaux sociaux et du numérique (pixels), il reflète le flot incessant d’images et d’informations qui nous submerge et sature notre vision du monde.
L’art de Lucien Murat nous plonge et nous absorbe brutalement dans les affres de nos sociétés contemporaines.
Entre « l’Eden perdu » des scènes édulcorées des canevas et l’univers cauchemardesque développé par l’artiste, notre œil plonge dans un monde fascinant où se mêlent citations à l’art ancien, aux mythes et à l’actualité sanglante.
Lucien Murat nous offre une vision de notre époque très personnelle, à la Jérôme Bosch (on pense aussi en regardant son travail à l’univers débridé des frères Chapman). Il renouvelle et mêle de façon très originale deux médiums historiques que sont la tapisserie et la peinture et renoue avec audace et force avec le genre « noble » de la peinture d’histoire.
Décidément, ce jeune homme à la gueule d’ange sait cultiver les décalages, art pauvre/art noble, scènes angéliques/scènes d’enfer, humour/horreur, passé/présent, mythes et réalités…Tout un programme!
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