Entretien avec Sandra Hegedus Mulliez fondatrice de Sam Art Projects
- Posted by Béatrice Cotte
- On 11 janvier 2016
- Angelika Markul, Bouchra Khalili, Laurent Pernot, Louidgi Beltrame, Mel O’Callaghan, Palais de Tokyo, Prix art contemporain, Prix SAM, Résidences d'artistes, Sam Art Project, Sandra Hegedus Mulliez, Zineb Sedira
Vendredi 18 décembre, au lendemain de l’annonce du nouveau lauréat du Prix Sam pour l’Art Contemporain 2015, Sandra Hegedus Mulliez, collectionneuse, fondatrice et mécène de Sam Art Projects, nous recevait chez elle pour un entretien.
Quand et comment as-tu commencé à collectionner des œuvres d’art ?
Je suis brésilienne, comme tu le sais, diplômée d’une école de cinéma. J’ai commencé ma carrière au Brésil dans le domaine de la publicité et de la télévision. Lorsque je suis arrivée en France en 1990, je me suis associée pour monter une société de production de documentaires, puis je me suis mariée et j’ai eu rapidement trois enfants, j’ai alors arrêté mon activité, et avec mon mari nous avons commencé à collectionner de l’art.
C’était à l’origine plutôt ta démarche ou la sienne ?
Je suis l’initiatrice, mais mon ex-mari s’est vite pris au jeu!
Tu as débuté ta collection avec des artistes brésiliens ?
Oui et Non, je collectionne ce que j’aime, peu importe la nationalité de l’artiste.
Quel a été ton premier achat ?
Mon premier achat a été l’œuvre d’une artiste brésilienne, puis mon deuxième achat s’est porté sur une série de photographies de Martin d’Orgeval, après sur une peinture de Sophie von Hellermann, puis j’ai acquis une sculpture de Xavier Veilhan …Finalement, je suis immédiatement partie sur l’acquisition d’artistes de nationalités différentes. Je ne fais pas de distinction entre les artistes ou les médiums, une œuvre m’attire, je l’achète, c’est tout.
Comment as-tu fais tes premiers pas dans le monde de l’art ?
Il y a une femme à qui je dois beaucoup, c’est Anne-Pierre d’Albis. Quand j’ai commencé à m’intéresser à l’art, elle m’a prise par la main et on a visité ensemble les galeries et les foires. Elle ne jouait pas un rôle de conseillère, mais celui d’une grande amie qui m’a ouvert toutes les portes de ce milieu et présentée aux différents acteurs de la scène de l’art contemporain. C’est une femme extraordinaire et d’une générosité sans fin. Il n’y a pas beaucoup de personnes comme Anne-Pierre d’Albis !
Comment est arrivé le projet de monter Sam Art Projects en 2009 ?
En m’adonnant à cette nouvelle passion, j’ai constaté avec étonnement que des artistes brésiliens, que je connaissais depuis longtemps, très connus au Brésil, ne l’étaient pas du tout en France ! Je me suis demandée comment on pouvait être une star au Brésil et ne pas l’être ailleurs ? J’ai alors senti qu’il fallait faire quelque chose et que je devais sortir du rôle passif du collectionneur. C’est à ce moment là qu’est arrivé le projet de Sam Art Projects, avec cette volonté de « casser » des barrières, des frontières, et de permettre à des artistes qui ne sont pas « mainstream », ni forcément européens ou américains, d’accéder à une certaine visibilité pour pouvoir exister de façon internationale.
Avec Sam Art Projects, que je finance entièrement en tant que mécène, j’ai voulu mettre en place un système qui soit mondial, où la France est à la fois un point d’accueil et de départ pour les artistes, une « plaque tournante » de l’art international.
Pour réaliser cette vision des choses, nous avons mis en place plusieurs programmes au sein de Sam Art Projects :
- le Prix Sam pour l’Art Contemporain
Nous attribuons, chaque année, une dotation de 20 000 euros à un artiste plasticien qui vit et travaille en France et qui souhaite réaliser un projet dans un pays étranger (hors Europe et Amérique du Nord). L’objectif est d’envoyer ces artistes rayonner à travers le monde, qu’ils se confrontent à d’autres territoires et qu’ils exposent ensuite le fruit de leur travail à Paris au Palais de Tokyo. Nous leur offrons également l’édition d’une monographie. Ainsi, sont déjà partis grâce au Prix Sam pour l’Art Contemporain, Zineb Sedira en Algérie, Laurent Pernot au Brésil, Ivan Argote en Colombie, Angelika Markul à Tchernobil, Bouchra Khalili à Alger, Louidgi Beltrame au Pérou, dont on verra en février prochain le travail au Palais de Tokyo, et enfin notre toute nouvelle lauréate 2015 Mel O’Callaghan qui ira prochainement à Bornéo pour réaliser son projet.
- Les résidences d’artistes étrangers à Paris
En 2016, je vais recevoir en résidence quatre artistes : deux mexicains, Hector Zamora et Martin Soto Climent, un brésilien Rodrigo Braga et une africaine du sud Dineo Seshee Bopape.
Sam Art Projects finance le séjour de chaque artiste, qui réside dans un atelier qui lui est alloué à la Cité des Arts à Paris, et la production de son exposition au Palais de Tokyo. Ainsi, depuis 2009, nous avons accueilli en résidence, Elaine Tedesco (brésilienne), Inci Eviner (turque), Adrian Villar Rojas (argentin), Eko Nugroho (indonésien), Fernando Ortega (mexicain), Asim Waqif (indien), Henrique Oliveira (brésilien), Eduardo Basualdo (argentin), Hannah Bertram (australienne).
Comment sont sélectionnés les artistes pour les résidences ?
C’est le comité de sélection qui se réunit et choisit au vote un artiste pour chaque résidence. Le comité scientifique est constitué de personnalités du monde de l’art, qui changent, à tour de rôle, tous les trois ans. Ainsi, cette année Thierry Raspail et Marie-Ann Yemsi succèdent à Jérôme Sans et Alexia Fabre, restent Alfred Pacquement, Laurent le Bon, Jean de Loisy, Jean-Hubert Martin, Olivier Michelon et moi.
En avril prochain, nous allons nous réunir pour choisir un nouveau résident. Chaque membre du comité vient avec une proposition d’artiste éligible. A l’inverse du Prix Sam, on ne débat pas sur un projet mais sur l’ensemble de l’œuvre d’un artiste étranger.
Les résidences fonctionnent en deux temps. Il y a un temps où l’on fait venir l’artiste en repérage, par exemple Rodrigo Braga, qui présentera un projet en septembre 2016, a déjà passé un mois et demi à Paris, pour voir les espaces et rencontrer les curateurs du Palais de Tokyo, pour s’imprégner de la ville, pour comprendre ce qu’il veut faire. Après, l’artiste repart dans son pays et revient ensuite plus tard pour produire son œuvre.
Il y a un nombre de mois défini pour les résidences ?
Non, c’est selon les besoins de l’artiste.
Durant leurs séjours à Paris, tu rencontres souvent ces artistes ?
Oui tout le temps, on organise des visites d’atelier, et on se réunit chez moi autour de déjeuners pour tisser des liens et faire connaître leur travail aux journalistes, collectionneurs, commissaires d’exposition, directeurs d’institutions…C’est un moyen convivial de partager à la fois des moments humains et un réseau professionnel.
Revenons à la lauréate 2015 du Prix Sam Art Projects, Mel O’ Callaghan, pourquoi son projet a tout spécialement retenu l’attention du jury?
Dans la sélection finale du comité scientifique, il y avait cette année cinq très bons artistes avec des projets très différents. Lors de nos débats, Jean Hubert Martin a souligné que depuis un certain temps, les projets soumis au vote pour le Prix Sam tournaient exclusivement autour de la vidéo et le projet de Mel O’Callaghan, présentait une dimension plus large incluant certes la vidéo, mais également une installation et une performance, qui donnaient au projet une cohérence et une force plus significative. Cette réflexion, nous a donc conduit à nous rassembler autour de ce projet polymorphe.
Est-ce les artistes qui présentent en personne leur projet au jury ?
Non, l’équipe de Sam Art Projects, c’est à dire Jessie Charbonneau, directrice, Cleo Smits, assistante et moi, nous rencontrons chacun des artistes finalistes afin de transmettre aux membres du comité le maximum d’informations utiles et nécessaires à la compréhension de leur travail et de leur projet.
Combien de projets recevez-vous ?
On reçoit, chaque année environ une centaine de projets.
Comment les sélectionnez-vous ?
Une première sélection est faite par l’équipe de Sam Art Projects, qui consiste à écarter tous les dossiers qui ne répondent pas aux critères énoncés sur le site. Ensuite, chaque membre du comité scientifique lit tous les dossiers restants. Chacun donne une note sur 10 à chaque projet, on additionne les points et les cinq artistes qui comptabilisent le plus de points sont nominés pour le Prix Sam. Le comité se réunit ensuite une dernière fois pour débattre et choisir le lauréat le jour même de la remise du Prix.
Peux-tu nous expliquer plus en détails le projet de Mel O’Callaghan ?
Cette jeune artiste australienne, née en 1975 à Sydney, vit et travaille à Paris. Pour son projet, elle va partir en Malaisie, à Bornéo, à la rencontre d’une tribu et filmer un rite de passage. Mel a déjà fait des repérages là-bas et monté des images qui lui ont permis d’imaginer ce projet. Tous les ans, ces autochtones vont ramasser, au péril de leur vie, des nids d’oiseaux accrochés aux hautes parois d’une mystérieuse caverne. Elle va s’initier avec eux à ce rite de passage, et filmer ce geste, cet acte parfois fatidique mais nécessaire à la survie de cette tradition ancestrale. Son exposition, qui aura lieu au Palais de Tokyo en février 2017, inclura également une construction/installation et une performance, qui symboliseront ce rite de passage et que le visiteur sera amené à expérimenter. Une œuvre dont chacun sera à la fois spectateur et acteur, une œuvre qui interroge la répétition du geste et l’importance du langage des corps. Un projet ambitieux, extrêmement complet et qui s’annonce sublime !
Projet de Mel O’Callaghan – Photo prise à Bornéo. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Allen, Paris
Connaissais-tu cette artiste avant ?
Non, pas du tout, mais Daria de Beauvais, conservatrice au Palais de Tokyo la suis depuis sa première exposition à Paris en 2004. Mel est associée à la Galerie Allen qui l’a représente aujourd’hui à Paris.
Sur les cinq finalistes lesquels connaissais-tu ?
Julien Bismuth, Bruno Serralongue et Raphaël Siboni & Fabien Giraud, bien évidemment. Matthieu Martin est un jeune, que j’ai découvert et dont je trouve le travail formidable et très prometteur. C’est ce que j’aime dans ce prix, le fait que l’on ne s’attache pas à la notoriété des artistes mais aux projets uniquement et cela laisse sa chance à tous les candidats! Cette particularité, permet aussi à des artistes comme Louidgi Beltrame ou Laurent Pernot de postuler plusieurs années de suite et au final de remporter le prix.
Je suppose qu’après tu gardes un œil sur chacun d’eux?
Bien sur, c’est ma famille en France ! Hier, lorsque j’ai regardé la salle et que j’ai vu Angelika Markul, Laurent Pernot, Martin Soto Climent qui venait d’arriver, Mel O’Callaghan qui venait de gagner, Pierre Ardouvin, Anne Brégeaut et Agnès Thurnauer, avec qui je travaille pour d’autres projets, tous ces artistes réunis autour de Sam Art Projects, cela m’a vraiment fait chaud au cœur.
Grâce à Sam Art Projects, j’ai la chance de vivre des moments de partage et des relations exceptionnelles avec des artistes et ça c’est vraiment génial ! Je vis pour ça !
Sandra Hegedus Mulliez, merci de nous avoir accordé cet entretien afin de partager avec nous ta passion et ta vision de l’art.
Portrait de Sandra Hegedus Mulliez. Photographie et copyright Fred Marigaux
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