BRUXELLES : Chaotic Harmony ou le monde selon Chun Kwang Young
- Posted by Minyoung LEE
- On 3 juin 2017
- art contemporain coréen, Bruxelles
Dernièrement, lors d’un voyage à l’étranger, un ami coréen m’a avoué avoir été fort ému suite à une exposition d’œuvres monumentales de l’artiste de Chun Kwang Young.
Comment être indifférent face aux impressionnantes « AGRÉGATIONS » de Chun ? Jeux d’assemblages, d’interaction, composés de petits paquets triangulaires emballés dans du papier hanji, donnant vie à des paysages imaginaires aux couleurs, reliefs, volumes différents créant un espace infini abstrait.
Inconsciemment, mon ami replongeait dans un univers issu directement de sa propre culture coréenne. En utilisant le papier hanji comme moyen d’expression, Chun imprègne son œuvre de l’esprit et de l’âme des coréens, tout en offrant au public international une œuvre qui s’inscrit dans la mondialité de l’art.
Chun Kwang Young est né en 1944 à Hongchun en Corée du Sud, en pleine tourmente de troubles politiques et juste avant le départ de troupes japonaises de Corée en 1945. Par la suite, la Corée a été divisée en deux zones, la République démocratique populaire de Corée, la Corée du Nord, à majorité communiste et la République de Corée, la Corée du Sud, plus proche de l’Amérique. Après la guerre de Corée, la Corée du sud a connu une croissance économique mondiale importante d’où l’attirance de beaucoup de jeunes coréens vers les nouveaux mondes.
C’est dans les année 60, lors de ses nombreux séjours aux Etats Unis, que Chun imprégné des différents mouvements artistiques de l’époque comme le Pop art, l’action painting, le colorfield painting, l’expressionnisme abstrait, éprouve le plaisir de s’exprimer en toute liberté, loin des attentes de l’enseignement artistique traditionnel coréen, qui incarnait des siècles de tradition, bridant souvent l’imagination.
Au collège d’art de Philadelphie, Chun voyait dans l’expressionnisme abstrait, une nouvelle source d’inspiration. Il commencera sa carrière en utilisant la couleur et la forme développant ainsi le chaos pictural sur ses toiles.
Malgré le succès de ses peintures dans le style de l’expressionnisme abstrait, Chun ressent un manque d’originalité, comme un vide, dans son travail. Il se sent comme un faiseur et il a besoin de créer un style qui lui est propre.
De retour en Corée, Chun décide de rompre radicalement avec son précédent travail artistique. Il cherche à créer une œuvre plus personnelle, passionnée mais qui soit cette fois ancrée dans sa propre culture coréenne, il ressent un désir de spiritualité.
A l’instar des madeleines de Proust, où certains objets ou odeurs nous rappellent nos souvenirs d’enfance. C’est suite à un refroidissement, que Chun s’est souvenu, qu’enfant, sa mère l’amenait souvent chez un médecin traditionnel coréen. Ce dernier emballait toutes ses prescriptions dans des petits paquets à la forme triangulaire avec du papier traditionnel coréen appelé hanji.
Le papier hanji n’est pas qu’un simple papier, il fait partie intégrante de la vie des Coréens. Chun kwang Young dit que la première chose qu’il a vu quand il est né était le visage de sa mère et ensuite le papier hanji. Ce papier traditionnel à l’histoire millénaire est utilisé pour la peinture, la calligraphie, les emballages et sert également à tapisser les sols, les murs. Fabriqué à la main avec les fibres de l’écorce du mûrier, il est résistant, lisse et de couleur blanc cassé ayant un grand pouvoir d’absorption des couleurs. C’est une grande fierté chez les Coréens.
C’est ainsi que depuis 1995 « l’idée » de la répétition de ces formes triangulaires est devenue pour Chun Kwang Young la base de son nouveau travail appelé « AGRÉGATION »
Le papier hanji utilisé par Chun Kwang Young , provient des livres antiques dont les pages sont imprimées de caractères anciens en coréens et en chinois. Chaque page utilisée raconte une histoire. Chaque triangle est donc emballé par une histoire différente et véhicule son propre message. Il n’y a pas un sens particulier dans le choix de l’histoire ou du papier, tout est aléatoire et prend son sens en fonction des « AGRÉGATIONS ». Il n’y a pas une recherche de continuité dans cette démarche. Chaque triangle a sa propre identité et existe comme un être singulier, il ne veut pas être dominé ou influencé. Chacun est le héros de sa propre histoire dans cet ensemble abstrait.
« Pour moi, les pièces triangulaires enveloppées dans du papier hanji sont des entités d’information de base, les cellules fondamentales d’une vie qui n’existe que dans l’art, ainsi que dans les événements sociaux individuels ou les faits historiques » Chun Kwang Young
Le triangle tridimensionnel utilisé dans ses œuvres est un élément géométrique en soi semblable à de petits blocs de construction, mais Chun Kwang Young ne les utilise pas en tant que formes tridimensionnelles pour construire une forme architecturale. Au contraire, il les dispose sur des compositions complexes aux motifs serrés qui nous font penser à des créations minérales et naturelles.
Contrairement à l’art minimal, qui promeut « un art dénué de sentiments » basé également sur des formes simples et répétitives, les créations de Chun participent largement à l’expression des émotions liées à l’artiste et au monde qui l’entoure.
Chun multiplie ses entités, ici le triangle, qu’il nomme « unité minimale de l’information », utilise le concept de répétition et change de taille en fonction de ses élans créatifs.
La disposition du triangle varie en fonction de la composition, il peut ne présenter qu’un seul de ses cotés et nous offrir une surface plane ou inversement nous faire découvrir, son relief et une certaine épaisseur.
Les « AGRÉGATIONS » sont grandes et il est impressionnant de se rendre compte, qu’une composition si majestueuse est façonnée par de si petits et délicats éléments. De près, ses œuvres distillent un sentiment d’intimité et chaque détail nous fait penser à l’infiniment petit.
En nous concentrant cette fois sur la couleur, les œuvres de Chun Kwang Young prennent une toute autre dimension. L’artiste est un maître en la matière, il joue avec des teintes éclatantes et sombres, des palettes de gris, des nuances de terre, en fonction de ses humeurs et de ses compositions. Chun joue également avec des effets d’ombre et de lumière, créant de subtils effets de profondeur, alors que ce ne sont que de pures illusions d’optique.
Après la couleur, nos regards resteront fascinés par le détail apporté aux petits triangles. Il est surprenant de constater la délicatesse avec laquelle ils sont emballés dans du papier hanji et reliés entre eux par une mince corde tressée dans le même matériau.
Lorsque l’on s’éloigne de l’œuvre pour l’admirer dans son ensemble, la succession des entités individuelles disparaît et laisse place à la totalité. Nos yeux se détournent de l’infiniment petit pour se concentrer sur la surface. On sent maintenant la tension, la dualité. Ce sentiment est dû à la contradiction entre le réalisme minutieux de ses petites entités triangulaires et cette grande surface abstraite qui s’expose à nos yeux.
Cette dualité entre l’aspect paisible d’une œuvre de Chun, ressenti par le public comme une harmonie pictural, et les conflits intérieurs représentés par chacune des entités triangulaires, pourrait nous faire penser à l’image que nous donne la Corée du sud face au monde.
Les caractères anciens imprimés sur chaque entité triangulaire font partie de l’histoire de la Corée que moi-même bien que Coréenne, je ne comprends pas. Car la Corée du sud, en l’espace de quelques années, s’est modernisé pour devenir la puissance économique mondiale que l’on connaît aujourd’hui avec les conglomérats au détriment des traditions et des individualités pour donner l’image paisible et harmonieuse d’un pays que l’on surnomme « le pays du matin calme ».
Mais aujourd’hui, le peuple de la Corée du sud aspire à plus de transparence face à la multiplication des scandales politico-financiers, comme le montre l’actualité avec la destitution de leur présidente et de l’arrestation de l’héritier Samsung, premier conglomérat sud-coréen.
Comme dans une œuvre de Chun Kwang Young, chaque entité montre sa puissance individuelle pour rompre l’aspect harmonieux de la surface et nous révèle une œuvre souveraine et forte laissant la place à l’histoire de l’humanité.
« Mon travail n’est pas confortable. Mon œuvre est paisible mais très forte.
Je veux qu’elle soit reçue comme l’eau bouillante et du feu » Chun Kwang Young
DU 18 MAI AU 27 AOÛT 2017
L’artiste Chun Kwang Young fait l’objet de la première exposition consacrée à un artiste individuel à la Fondation Boghossian.
DU 21 MAI AU 15 juillet 2017
En écho à l’exposition de la Fondation Boghossian, la galerie Art’loft,Lee-Bauwens présentera pour sa seconde exposition à la galerie Chaotic Harmony avec une nouvelle série d’œuvres de l’artiste Chun Kwang Young.
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