Montréal : Petit aperçu de la scène artistique contemporaine
- Posted by Béatrice Cotte
- On 15 novembre 2012
- Canada, Galerie d'art, Montréal
J’ai profité d’un séjour d’une semaine à Montréal pour visiter les musées et les galeries d’art de cette grande ville québécoise, et me faire une petite idée de la scène artistique contemporaine canadienne. Si le Musée des Beaux-Arts de Montréal vaut le détour, j’ai été, avouons le, moins impressionnée par le Musée d’Art Contemporain. Il faut cependant souligner une très jolie muséographie et une belle salle consacrée aux œuvres all-over de Jean-Paul Riopelle (1923-2002), le très cher « bûcheron canadien » d’André Breton et le plus grand peintre à ce jour de l’histoire du Canada.
Les artistes exposés sont quasi exclusivement canadiens, et le marché montréalais s’avère de ce fait très centré sur lui-même. Ce « nationalisme » se révèle très utile pour celui qui souhaite avoir un panorama clair de la scène artistique montréalaise.
Patrick Beaulieu, for intérieur, sang 4, 2012, impression numérique, 86 x 84cm, édition 1/5 |
Deux séries d’impressions numériques, « for intérieur –sang » et « for interieur – braise » tentent de saisir des formes de passage. Elles présentent, d’une part l’atterrissage d’une plume rougie par le sang sur l’écran d’un numérisateur et, d’autre part, l’ultime image produite par un tel appareil alors qu’il est détruit par l’action de la chaleur de la braise. Fixées dans une netteté presque impossible, la plume souillée et la braise incandescente gisent sur un noir dense et profond. Les morceaux de braise éclatent comme des paysages, comme un commencement ou une fin du monde.
Patrick Beaulieu, for intérieur, braise 2, 2012, impression numérique, 148 x 108cm, édition 1/5 |
Patrick Beaulieu, for intérieur, ailes en aluminium , 2012, installation |
Dans l’installation centrale, des dizaines d’ailes métalliques sont soumises aux pulsations d’un éclairage rouge incandescent. Encore une fois, la matière est mise à l’épreuve précisément là où le visible ne recouvre pas la totalité du réel. Les installations comme les images de Patrick Beaulieu recherchent le potentiel poétique de ce jeu d’apparition et de disparition.
7245, rue Alexandra, espace 100, Montreal (Québec) Canada H2R 2Y9
Immeuble de la Galerie Battat Contemporary |
Roland Poulin, Ultime dialogue, 2012, laiton et acier inoxydable, 229 x 220 x 116cm |
« Ultime dialogue » ce sont deux éléments verticaux polyédriques qui se font face, de manière oblique, légèrement inclinés : ils campent une entrée, un passage ou encore un portail stylisé. Une invitation à pénétrer leur espace, les contourner, les effleurer. Massifs, graves, fait de l’essentiel, opaques et pourtant couverts de variations de gris, ils irradient la lumière. Chaque élément comporte une surface en acier inoxydable, qui réfléchit la présence du spectateur. Vibrantes, toutes les surfaces se teintent aux couleurs de l’environnement. Dans « Ultime dialogue », paradoxalement Roland Poulin réussi à faire de deux corps sombres une oeuvre de lumière.
6341, boulevard Saint-Laurent, Montreal (Québec) Canada H2S 3C3
372 rue Sainte-Catherine Ouest, Montreal (Québec) Canada H3B 1A2
L’édifice Belgo, intérieur |
5ème étage – espace 520
Cette galerie est véritablement celle que j’ai préféré de l’édifice Belgo, tout d’abord pour son accueil, mais surtout pour sa sélection d’artistes. Fondée en 1988, la Galerie Trois Points s’est donnée comme objectif de faire connaître et de promouvoir, tant sur le plan national qu’international, un groupe d’artistes dont l’originalité du travail témoigne de la diversité et du dynamisme du milieu artistique québécois. Lors de ma visite, j’y ai donc découvert deux jeunes artistes très intéressants, qui ont chacun développé une technique graphique très spécifique et une esthétique très surprenante.
Winnie Truong,Loop De Loop, 2012, Crayon sur papier, 56 x 61 cm.
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La galerie Trois Points, présentait pour la première fois à Montréal le travail de cette toute jeune artiste de Toronto, seulement âgée de 24 ans, qui se révèle très talentueuse.
La pratique de Winnie Truong révèle un désir de représenter le corps humain dans ce qu’il a d’atypique. Un bizarre sentiment d’étrangeté émane de ses dessins qui inévitablement questionnent notre rapport à la beauté. L’artiste explore les limites du beau et du laid du visage dans ce qu’il a de délicat et de grotesque. Ses personnages, isolés et anonymes, prennent des allures incontestées de mutants. Mais la finesse du trait et les subtiles nuances des couleurs font des portraits de Winnie Truong des oeuvres où la qualité du dessin rebute moins qu’elle ne fascine.
Winnie Truong, Infinite Capture, détail, 2012,
Crayon sur papier, 56 x 61 cm. |
La présence excessive de cheveux est un élément central dans les compositions de la jeune torontoise. Référant à nos origines animales, la pilosité est à la fois une source de désir et de révulsion. L’élément pileux, qui possède habituellement le rôle de différenciateur du genre, devient, dans l’univers de Winnie Truong, source d’ambiguïté. Avec Double Twist, Truong explore les forces qui nous poussent à vouloir nous conformer aux conventions, tout en conservant le désir de nous démarquer.
Immédiatement, en voyant les oeuvres de cet artiste j’ai pensé aux peintures de Jérôme Bosch (1453-1516). Je ne suis pas spécialement sensible à l’iconographie particulière qui le caractérise, mais j’ai été fasciné par sa technique. Chez Max Wyse, la feuille d’acrylique est à la fois support et surface, l’artiste travaillant par couches successives à l’envers du Plexiglas, du premier plan jusqu’au dernier, inversement à la méthode traditionnelle de la peinture. Il commence ainsi toujours par le dessin, pour terminer par les larges aplats de couleurs qui constituent l’arrière-plan de ses tableaux. La minutie exceptionnelle qu’exige cette méthode fait de la plus récente série de Wyse des œuvres particulièrement exceptionnelles sur le plan technique. L’exposition, qui présente les plus grands formats sur lesquels l’artiste a travaillé jusqu’à maintenant, met notamment en scène les tribulations d’un paysan cherchant à se conformer aux codes qui prévalent dans le désert.
Max Wyse, Dinner Guest II, 2012,
Acrylique et pastel sous feuille d’acrylique, 63,3 x 61 cm |
Max Wyse a mis en place une iconographie quasi mythologique qui lui est toute propre. Si les personnages prennent racine dans un corps humain, celui-ci est transformé rapidement en véritable réceptacle dans lequel convergent les mondes végétal, animal et minéral. Le corps devient aussi le véhicule qui permet de voyager à travers les cultures et l’histoire.
5ème étage – espace 516
Galerie Joyce Yahouda, intérieur, vue au second plan d’une oeuvre de Sébastien Pesot, Pavillon. |
Au deuxième étage de l’édifice Belgo, presque isolée de ses confrères, se trouve la Galerie très épurée de Pierre-François Ouellette. Etablie en 2001, cette galerie présente au sein de « deux cubes blancs », et une « boîte noire », des œuvres d’artistes de renommé internationale. Lors de ma visite, la galerie présentait une nouvelle version de l’installation « Trous noirs » de Marie-Jeanne Musiol. Une exposition qui au delà de l’esthétique, fait réfléchir…
Marie-Jeanne Musiol, Trous noirs no. 049, 2011 épreuve numérique, 48.5 x 61 cm, édition 1/7 |
Grande nef de l’Arsenal |
Les instigateurs de l’ensemble de ce projet novateur sont M. Pierre et Mme Anne-Marie Trahan, un couple de collectionneurs montréalais. Ce nouveau centre d’art contemporainabrite deux galeries privées (Galerie René Blouin et Galerie Division), une collection privée (Collection Majudia), un studio d’artiste et une immense « nef » principale. Cette dernière héberge des expositions d’envergure et deviendra le théâtre d’événements corporatifs, privés et philanthropiques.
Kim Dorland, Woods #6, 2009, médiums mixtes sur bois, 144″ x 192″, Collection Majudia. |
Kim Dorland s’inscrit dans la tradition de l’art du paysage canadien, avec une touche très personnelle. Il exhibe une nature luxuriante, une vision fantasmagorique de la forêt canadienne à travers une dépense excessive de couleurs, de matière, qui fait apparaître les formes, en même temps qu’elle les noie sous un débordement pigmentaire.
Kim Dorland, détail |
L’artiste décrit son langage visuel comme un dialecte régional qui serait beau et problématique à la fois. Son style de peinture unique insuffle un sens aux sujets banals et quotidiens de ses paysages. L’application et les couches de peinture évoquent le temps et la mémoire de ce que révèlent les tableaux: les fêtes nocturnes dans les buissons, les skaters dans les banlieues, les portraits de sa femme. Il nous amène dans ces lieux : son monde et la passion de la peinture.
Dominique Gaucher, Delta, 2011-2012, acrylique, huile et papier sur toile, 180″ x 422″ |
L’immense toile, Delta, exposée à l’Arsenal, est spectaculaire et nous aspire dans un univers quasi apocalyptique où la nature se déploie avec toute sa puissance destructrice.
Dominique Gaucher, Delta, détail. |
La nature remet, d’un coup d’un seul, l’homme à sa place ! Cette œuvre fait évidemment référence aux forces de la nature. L’œuvre Delta fait partie d’un ensemble intitulé Némésis et le nom de cette déesse grecque, qui symbolisait la vengeance, le châtiment que les dieux infligent aux humains qui pèchent par irrespect des lois de la nature, finit de donner tout son sens à la peinture de Dominique Gaucher.
« C’est l’arrogance de l’Homme qui créera sa perte » prophétise l’artiste à travers son œuvre, de quoi réfléchir…
3550, rue St-Antoine Ouest, Montreal (Québec) Canada H4C 1A9
www.parisianlaundry.com
A l’image des grandes Galeries parisiennes, Gagosian (au bouget), Thaddaeus Ropac (à Pantin) et la Galerie RX (Ivry), la Galerie Parisian Laundry a décidé de s’excentrer du centre de la ville pour investir un lieu plus « industriel ». la Galerie Parisian Laundry est un impressionnant bâtiment industriel sur trois niveaux de 1400 m2. En 2001, la galerie prend possession d’une ancienne blanchisserie située à Saint Henri, ancien quartier ouvrier de Montréal. Il faudra ensuite quatre ans de restauration intensive pour transformer le lieu en un centre d’expositions. Les visiteurs sont en contact direct avec le sol de béton, les poutres en bois massif, l’acier et le verre. Baignées par le flot de lumière naturelle qui circule entre les immenses fenêtres, les œuvres des artistes sont particulièrement mises en valeur. La pièce de résistance de la galerie est l’ancienne chambre des machines : ce « Bunker » de béton sur deux niveaux est un espace idéal pour les œuvres multimédia et les projections, ainsi que pour les installations in situ, les œuvres audio et la sculpture.
Janet Werner, Earthling (red sweater), 2012, huile sur toile, 274,3 x 198,1 cm, Collection du Musée d’Art Contemporain de Montréal. |
Janet Werner, dont le Musée d’art contemporain de Montréal vient d’acquérir auprès de la Parisian Laundry Gallery, l’oeuvre illustrée ci-dessus, a effectué sa maîtrise à l’université Yale, New Haven, Connecticut, en 1987. Peintre reconnue depuis plus de 15 ans, Janet Werner a participé à de nombreuses expositions partout au Canada. En Europe, elle a également exposé à la Biennale de Prague, et à Cologne, en Allemagne. Ses œuvres sont dans de nombreuses collections.
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