Dans un an, ART COLOGNE fêtera ses cinquante ans d’existence ! Créée en 1966 par un groupe de marchands d’art à Cologne, cette foire, mère et modèle des foires d’art contemporain actuelles, a tenu le haut du pavé jusqu’à la fin des années quatre-vingt. Aujourd’hui, bien qu’elle ne bénéficie plus de la même « aura » sur la scène internationale, doublée par sa concurrente suisse Art Basel, elle n’en demeure pas moins une foire réputée pour sa grande qualité. Si Berlin, a su devenir ces dernières années la capitale des artistes et un lieu de rendez-vous international incontournable dans le milieu de l’art contemporain, Cologne reste néanmoins une place incontournable du marché de l’art avec sa forte concentration de riches collectionneurs. En résumé, si les artistes et les galeries se concentrent aujourd’hui à Berlin, les clients les plus importants se trouvent eux encore à Cologne. Cette configuration a ainsi permis à la foire ART COLOGNE de tenir le cap depuis un demi-siècle maintenant.

Avec 208 galeries présentes cette année, dont plus de la moitié allemandes, cette foire peut se comparer en taille à sa consoeur espagnole ARCO MADRID ; foires à la fois nationales et internationales, elles permettent de faire le point sur la création contemporaine de leur pays tout en la positionnant sur l’échiquier mondial. Si cette année ARCO MADRIDa su enregistrer plus de 100 000 entrées, ART COLOGNE a quand à elle attiré moitié moins de visiteurs, 56 000 cette année, versus 54 000 en 2014.

 Répartie d’une manière très claire sur les trois étages du hall 11 du centre Koelnmesse, ART COLOGNEreste une foire de taille humaine, sans fausse note et surtout pas tapageuse ou outrancière comme certaines autres concurrentes… On sent que cette foire est avant tout pensée pour les collectionneurs qui souhaitent pouvoir vivre avec les œuvres qu’ils achètent ! Pas de pièces monumentales donc, ni show-off dans la sélection des galeries… Les transactions effectuées lors de cette 49^èmeédition, s’échelonnent de 4,4 millions de dollars pour la « Mona Lisa » d’Andy Warhol vendue à une collection privée par la Galerie Klaus Bendenà  14 000 dollars pour une photographie de Ryan McGinleyvendue par la jeune Galerie Bischoff Projects. Une large fourchette de prix qui permet à chaque type de collectionneur de trouver son bonheur.

Au premier niveau, sont regroupées les exposants présentant des artistes modernes et d’après-guerre (Galerie Lahumière pour la France par exemple), au deuxième niveau on trouve les grandes galeries d’art contemporain mondiales, comme Hauser + Wirth, Thaddaeus Ropac, David Zwirner, Sprüth Magers, Karsten Greve, Marlborough…, et au troisième étage, prend place la section NEW CONTEMPORIES, regroupant 29 jeunes galeries de moins de dix ans d’âge (Aanant & Zoo, Duve, Blain/Southern, Le Guern, Hales, Repetto, Javier Lopez…) , ainsi que la nouvelle section inaugurée l’année dernière COLLABORATIONS qui présente des projets collaboratifs inédits entre galeries, plus la partie consacrée au « film lounge » et à « art papers ».

Au deuxième niveau, sur la centaine d’exposants, 21 galeries proposaient via le programme NEW POSITIONS (un programme financé et sponsorisé par différentes entreprises et institutions) un focus sur la création d’un jeune artiste. Juxtaposant le stand de chaque galerie participante, un espace de 25m2 présentait ainsi un petit solo show. Pour ma part, j’ai retenu les propositions de la Galerie Laurent Godin autour d’une installation de Vincent Olinet, de la Galerie Kadel Willborn avec les photographies peintes et les sculptures de la jeune artiste allemande Helen Feifel, de la Galerie Philipp von rosen avec l’installation « baroque » de l’artiste roumaine Diana Sirianni, et enfin la proposition « miroirs » de l’artiste allemand Alex Lebus (Galerie Eigen+Art).

Concernant l’exposition BOOKMARKS prenant place à l’entrée de la foire, elle était consacrée à l’art conceptuel hongrois des années 1960 à nos jours. Une petite exposition bien ficelée dont le commissariat était confié aux trois galeries hongroises ACB, Kisterem et Vintage.

Au  total, bien que la majorité des exposants sont allemands, 23 pays étaient représentés cette année sur ART COLOGNE. Seulement cinq galeries françaises participaient à cette 49^èmeédition (Jean Brolly, Laurent Godin, Suzanne Tarasieve, Lahumière et Jeanroch Dard). Peu d’artistes français également à découvrir sur ART COLOGNE, alors qu’un bon nombre vit aujourd’hui à Berlin ! Les galeries parisiennes Laurent Godin et Suzanne Tarasieve présentaient les travaux, respectivement de Vincent Olinet et Romain Berniniet la très réputée et dynamique galerie berlinoise Johann Koenig présentait le travail des deux artistes françaises les plus « cotées » du moment, à savoir Laure Prouvost et Camille Henrot. On aura croisé également des œuvres de Adel Abdessemed, Kader Attia, Pierre Bismuth ou Daniel Burenentre autres et remarqué une sculpture murale de Bernar Venet bien mise en valeur sur le stand de la Galerie d’Hans Mayer. Ce galeriste réputé a d’ailleurs reçu cette année le Prix Art Cologne 2015, qui honore la carrière d’un marchand d’art allemand. Sa galerie fête cette année ses cinquante ans d’existence et est notamment réputée pour avoir dès les année 1970 fait connaître les artistes majeurs de la scène américaine.

Bref, bien que depuis la dernière décennie, les artistes français ont gagné en visibilité en Allemagne, la scène artistique française a encore du chemin pour s’imposer sur le marché de l’art outre-Rhin, mais il est vrai qu’historiquement le marché allemand est plus ouvert aux artistes américains, les échanges et les contributions entre les artistes et les institutions de ces deux pays étant nombreuses.

Le marché de l’art contemporain allemand est le 4^ème plus puissant au niveau mondial (après les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France). L’Allemagne avec ses nombreuses institutions enviées internationalement, avec ses puissantes galeries et ses nombreux collectionneurs actifs de longue date, fait figure de pays prescripteur majeur dans le domaine de l’art contemporain en Europe. Ce pays présente également avec Berlin, incontestablement le laboratoire actuel de la création contemporaine, une scène locale extrêmement dynamique, au caractère international très marqué.

En parcourant les allées d’ ART COLOGNE, j’ai donc décidé de me focaliser sur les œuvres des artistes allemands, afin de faire pour FAWM un petit « focus » sur la scène allemande contemporaine présentée sur la foire.

Commençons ce petit tour d’horizon par les artistes « blockblusters » et parmi eux particulièrement mis à l’honneur cette année Sigmar Polke (1941-2010), dont les œuvres étaient présentées sur pas moins de 11 stands. Les galeries souhaitant bien évidemment profiter des retombées médiatiques de l’exposition rétrospective actuellement en cours à Cologne au Musée Ludwig !

Parmi les artistes qui détiennent régulièrement les meilleures enchères réalisées par les artistes allemands contemporains, on trouvait bien évidemment des œuvres de Martin Kippenberger (1953-1997), sur les stands des galeries, Artelier Contemporary, Niels Borch Jensenet Carolina Nitsch. Décédé à l’âge de 44 ans, cet artiste laisse derrière lui une œuvre prolifique et complexe. 

Une seule œuvre, une sculpture de Markus Lüpertz, à qui le Musée d’Art Moderne de Paris consacre sa première rétrospective en France, était visible sur le Stand de la Galerie Michael Werner. Cet artiste majeur de la scène allemande a instauré dans son œuvre un dialogue singulier entre la peinture et la sculpture, le figuratif et l’abstrait, le passé et le présent. Jason, une tête en bronze instaurait là un dialogue inédit avec une huile sur toile d’un autre peintre allemand Ernst Wilhem Nay(1902-1968).

Expressionnistes et frappantes, les photographies de sculptures de visages humains de Thomas Schütte (1954), accrochaient quand à elles le regard sur le stand de la galerie new yorkaise Carolina Nitsch. Art figuratif certes, mais dantesque en diable !

Son contemporain Werner Buttner (1954), à la fois peintre, lithographe, sculpteur et poète, présentait une peinture récente, mettant en scène une petite fille triste et dérangeante sur le stand de la Galerie Bärbel Grässlin.

Présentes sur les stands de 6 galeries, Deweer Gallery (un stand au demeurant indigeste !), Forsblom, Jochen Hempel, Löhrl et Thaddaeus Ropac, les sculptures taillées dans des billes de bois à la tronçonneuse de Stephan Balkenhol sont à la fois brutales et raffinées. Elles évoquent la tradition de la sculpture polychrome médiévale. En jouant sur l’échelle des personnages, toujours plus grands ou plus petits que nature, ses figures souvent archétypales parlent de la condition humaine. En règle générale, je reste assez insensible à ces œuvres, mais j’ai remarqué un petit panneau à la Galerie Forsblom, qui m’a bien plu, car différent de ce que l’on voit habituellement.

Peintre et professeur de peinture à l’académie des arts de Munich, Karin Kneffel exposait sur les stands des galeries Klaus Gerrit Frieseet Schönewald, une nouvelle série de peintures figuratives, représentant l’intérieur d’un appartement de collectionneur avec un ensemble de tableaux accrochés au mur, le tout dans une touche floutée, chaleureuse, qui plonge le regardeur du tableau dans le tableau du tableau, et semble l’emmener dans le souvenir d’une atmosphère arcadienne…

Le célèbre élève de Bernd Becher à l’académie des beaux-arts de Düsseldorf, Thomas Ruff(1958) exposait ses photographies de très grands formats sur les stands des galeries Helga de Alvear, Konrad Fischer Galerieet David Zwirner. 

Alors que sur ARCO MADRID, la galerie Helga De Alvear consacrait à Katharina Grosse (1961) un impactant solo show combinant toiles expressives, dynamiques et sculpture monumentale, sur ART COLOGNE, ses différents galeristes, Barbara Gross, Johann König, Mark Müller, Nächst St. Stephan, se contentaient d’exposer des peintures de formats plus « raisonnables »…

Cosima von Boninnée en 1962 au Kenya, vit et travaille à Cologne. Cette artiste est considérée comme l’une des plus prolifiques et influentes de sa génération en Allemagne. Artiste pluridisciplinaire (peinture, sculpture, installation, textiles, performances, films, commissaire d’expositions, critique,…) elle aborde la création le plus souvent de façon collaborative et aime bousculer les règles établies du monde l’art. Son œuvre ne manque pas de subversion ou d’humour comme en témoigne  sa sculpture néon « smoke » signalant de loin dans les allées de la foire le stand de sa galerie berlinoise NEU !

Voilà encore un peintre, Jonas Burgert (1969) que l’on connaît pour ses peintures de très grands formats, (parfois plus de 4 mètres de longueur), véritables scènes fantastiques peuplées de personnages tourmentés,  et qui ne présentait à ART COLOGNEque deux toiles de formats plus « classiques ».   Deux peintures fraîchement sorties de l’atelier, chacune représentant un seul personnage, qui semble tout droit sorti d’un rêve fantasmagorique ou d’une pièce de théâtre et qui comme souvent dans la peinture de Jonas Burgert capture toute la vulnérabilité de notre humanité.

La Galerie Sies + Höke consacrait un petit solo show au très « déluré » et  « écorché » Jonathan Meese. Né à Tokyole 23janvier1970, ce peintre, dessinateur, sculpteur, vidéasteet performerallemand reprend le flambeau de la peinture expressionnisteallemande. Son univers artistique est violent et ludique, il le traduit par un chaos de formes et de couleurs. Il utilise également une multitude de références empruntées à l’histoire allemande, aux anciens maîtres (à la façon de Jörg Immendorff, Baselitz ou Markus Lüpertz), aux médias et à l’art. Ses tableaux sont des grimoires magiques, fantasques et effrayants où il mêle des docteurs maléfiques de film (tel que Dr. No et Dr. Mabuse), des figures médiévales connectés aux rites ésotériques, des scènes de sexualité, … Dans son travail il y a une face sombre mais aussi une face comique. Ses tableaux se couvrent d’un magma de matière, dégoulinent des figures tordues, d’objets fixés à la glu et d’autoportraits flous.

Dans son travail, Matthias Bitzer(1975) combine dessin, peinture et sculpture convertissant le tout en un espace sensible sur l’histoire et l’identité. Sa galerie Kadel Willborn présentait un portrait hétérogène qui reflète la complexité et le caractère insaisissable de l’identité humaine. Derrière le canevas de surfaces clairement définies, proches de l’Op-Art dans leur qualité, l’image figurative se dissocie en fragments kaléidoscopiques. La dissolution de la figuration culmine dans la sculpture, posée juste devant le portrait, dont les courbes et les spirales se détachent véritablement de tout concept de représentation.

De cette jeune génération d’artistes que nous abordons à présent, Benedikt hipp(1977), exposé par la même galerie,  est l’un des plus originaux. Il développe une peinture d’un haut niveau technique qui plonge le contemplateur dans des mondes mystérieux avec des espaces sombres imbriqués et des corps et des créatures étranges.

Toujours sur le stand de la Galerie Kadel Willborn, j’ai tout spécialement apprécié le travail d’Helen Feifel. Pour sa proposition dans le cadre de NEW POSITIONS, l’artiste présentait deux photographies peintes, ainsi que deux groupes de céramiques, le tout dans un mariage subtil et délicat de formes et de couleurs.

J’ai aussi craqué pour les gracieuses spirales dessinées de Jorinde Voigt(1977), artiste émergente montante s’il en est ! Plusieurs de ses compositions aériennes, dynamiques, musicales et philosophiques à la fois étaient présentées sur le stand de la Galerie David Nolan. Ainsi que pour les peintures de son contemporain Michael Conrads(1977) qui mélangent de façon étonnante géométrie abstraite et fluidité dans un esprit à la fois moderniste et Op Art revisité (Produzenten Galerie).

Je donne une mention toute spéciale à la scénographie du stand de Frauke Dannert(1979) et de sa galerie Rupert PFAB, qui surpasse celui, déjà très remarqué l’année dernière, de sa galerie berlinoise Bourouina à Art Brussels et magnifie  une nouvelle fois merveilleusement ses collages géométriques et architecturaux.

Enfin, parmi la génération des tout jeunes artistes nés en Allemagne après 1980, nous suivrons à l’avenir les travaux de :

La majorité de ces jeunes artistes cités ci-dessus  sont des peintres. La foire a en effet fait la part belle à ce médium, mais il faut dire qu’en Allemagne la peinture a toujours bénéficié d’une place de choix dans le secteur des arts visuels et à l’inverse de la France n’a jamais rompu le lien avec la peinture qu’elle soit figurative ou abstraite !

KOELNMESSE, Cologne, halls 11