Raúl Illarramendi : Visite d’atelier
- Posted by Béatrice Cotte
- On 28 août 2015
- Atelier d'artiste, Dessin, Exposition, Peinture
Pénétrer dans l’intimité d’un atelier d’artiste est toujours un moment à part et souvent exaltant. Lorsque Raúl Illarramendi m’invite en mars dernier dans son nouvel espace de création, je suis très excitée à l’idée de pouvoir me glisser quelques heures dans son univers fait de « traces » et de couleurs poudrées. Quel fut mon émerveillement, en découvrant un lieu incarnant en tous points le mythe de l’atelier d’artiste contemporain.
Dans l’esprit des ateliers/lofts new-yorkais, ou des espaces industriels réhabilités, ses murs de briques et sa grande verrière donnent à l’immense espace un charme fou. Orienté plein ouest, baigné de lumière, l’atelier est logé au premier étage d’une ancienne maison bourgeoise de la ville de Méru, à 45 minutes au nord de Paris.
Situé sur les hauteurs de cette paisible petite ville, réputée au XIX e siècle pour sa production de tabletterie puis de boutonnerie de nacre, l’atelier offre un joli panorama.
Ce matin ensoleillé de mars, Raúl Illarramendi m’accueille, comme à son habitude, avec un large et chaleureux sourire. Lorsqu’il me conduit dans son atelier, mon premier regard se pose sur les centaines de crayons de couleur et de craies grasses qui occupent les différents espaces de travail. Réunis dans des pots, par gamme de coloris, ils forment des bouquets de dégradés subtils et donnent à l’atelier une ambiance colorée et gaie. On replonge quelques instants en enfance, telle Alice au pays des merveilles et l’on repense aux fabuleuses boîtes de crayons Faber-Castell, dont la foison de couleurs nous fascinait petits, excitait notre convoitise et notre imagination. Ici, nul doute, le rêve d’enfant se transforme en réalité.
Non loin des crayons de couleur, je remarque, fixés aux murs et sur les tables dans différents endroits de l’atelier, des taille-crayons « vintage » de la marque Boston. Raúl Illarramendi m’explique qu’il n’a pas trouvé meilleur taille-crayon que celui qu’il utilisait dans son enfance. Il me fait une démonstration et souligne la musicalité du bruit qui émane de cet objet lorsque l’on tourne la manivelle ; autant de « madeleines de Proust » qui ponctuent de leur petite musique mécanique son travail quotidien. Il me confie également qu’il recueille les épluchures, car il nourrit l’idée de les utiliser un jour dans ses travaux. En attendant, ces « déchets » de création s’empilent dans des bocaux de verre et finissent par créer des lignes de couleurs comme des strates géologiques, paysages abstraits, qui animent les étagères.
De nombreuses œuvres sont adossées aux murs de l’atelier, dont certaines monumentales. Elles sont destinées à sa prochaine exposition personnelle, la troisième, mais la première dans l’espace historique de la Galerie Karsten Greve à Cologne. J’ai l’immense privilège de les découvrir en avant-première et Raúl Illarramendi m’explique le processus de création de chacune d’elles. Il commence par me montrer les photographies qui sont à l’origine de ses travaux. Là des traces de doigts sur la porte d’un garage, ou des inscriptions écrites sur de poussiéreuses camionnettes.
Ce qui l’intéresse c’est la facture picturale de ces taches, qui, si l’on est attentif, habitent notre environnement et notre quotidien. Les compositions abstraites qu’elles génèrent, l’inspirent. Au fil de ses ballades urbaines, l’artiste photographie ces signes de gestes qui s’accumulent sur des surfaces encrassées, et se constitue un répertoire de sujets et de formes. Il puise ensuite dans ce catalogue pour créer ses propres compositions qui oscillent entre abstraction et réalisme. Le cliché n’est qu’un point de départ à la création de signes. Des traces qui semblent anodines et insignifiantes au départ, mais, qui sous le trait de crayon de l’artiste vénézuélien génèrent des compositions d’une force vitale étonnante.
Raúl Illarramendi m’explique ensuite comment il prépare ses toiles en les enduisant de sept couches d’enduit, qu’il ponce, et sur lesquelles il ajoute une couche de peinture à la gouache. L’effet recherché est celui de la matité du papier. La préparation de la toile terminée, il fait naître en dessinant au crayon de couleur ses compositions. Lorsque l’on comprend que les traces que nous observons à la surface de la toile sont laissées en réserve par l’artiste, on réalise la complexité du processus de création et la maîtrise du geste qu’il nécessite ; sans compter la patience et les heures de travail qu’il impose. Le résultat est tout simplement stupéfiant!
Sa technique mixte, qui superpose le dessin à la peinture, révèle le rapport ambigu qu’entretient l’artiste avec la peinture, où le dessin est constamment mis en question. L’artiste conçoit ses œuvres comme des non-dessins : le travail se compose par des traits qui surgissent des espaces non crayonnés, montrant ainsi le fond de la toile. Ce procédé en négatif permet à l’artiste de décontextualiser les traces laissées par des actions plus ou moins civilisées et de les détacher, les isoler et les placer au premier plan sur la toile.
L’artiste ne cache pas son anxiété à l’idée de ne pas finir ses toiles à temps. Dans ce lieu qui semble « hors du temps », Raúl Illarramendi se bat pourtant parfois contre l’horloge et ne compte plus ses heures. De jour comme de nuit, il travaille minutieusement à son œuvre, les traits de crayons de couleur se succèdent, se juxtaposent, se superposent rigoureusement, avec une grande sophistication technique, jusqu’à couvrir plus de 15m2. Un travail titanesque, très physique et éprouvant!
Pour l’exposition de Cologne, il s’est justement lancé dans la réalisation de trois immenses toiles et de deux compositions imposantes en trois dimensions sur métal. Cette mise en espace sculpturale de son œuvre est une première et le résultat est très convaincant.
Au milieu de ces grandes compositions, je me laisse happer par l’univers de Raúl Illarramendi. Le rendu lisse, mat et velouté des œuvres me donne l’envie irrésistible de les toucher. Paradoxalement cette action est malheureusement impossible, car je risquerai d’y laisser des traces de doigts…L’harmonie chromatique subtile, tour à tour sourde, terne, douce ou violente, invite à se perdre dans les méandres de la toile. La surface inexorablement accroche, absorbe le regard, car comme le fait très justement remarquer Sébastien Gokalp dans son texte sur l’artiste, c’est de surface dont il est question ici.
« Cette surface est celle contre laquelle bute la lumière, s’arrête le regard, un subjectile sur laquelle notre esprit creuse des perspectives et projette du sens. En superposant tout en fusionnant, en consacrant un immense travail à la faire oublier, Illarramendi incarne la densité du vide. Tâche absurde, impossible car sans fin ni enjeu, ouvrant en cela la voie à une spiritualité contemporaine. »
En partant de l’atelier, je suis consciente d’avoir partagé un moment extraordinaire avec un créateur unique. Raúl Illarramendi est un artiste chaleureux, généreux, passionnant, talentueux, qui sait transmettre son amour du grain de crayon et parler de ses travaux avec humilité et une grande intelligence. Je le remercie tout spécialement pour cette rencontre, ainsi que Vanessa Veuillet de la Galerie Karsten Greve qui a organisé cette visite d’atelier.
Après le succès de son exposition à Cologne, « The Spirit Line » en avril dernier, la Galerie Karsten Greve a décidé d’offrir à Raúl Illarramendi, en septembre, sa deuxième exposition personnelle à Paris, tout juste deux ans après son premier solo show dans la capitale (cf. Article précédent « Raúl Illarramendi : Drawing from nature » sur FAWM).
L’exposition intitulée « Incarner la poussière », présente des œuvres tirées de plusieurs séries : Terra Incognita, la plus récente réalisée entre 2014 et 2015, Evidence of Absence (Preuve de l’absence) et Spit Drawings (Dessins-crachats).
Une exposition, vous l’aurez compris, que je vous recommande tout spécialement !
Exposition Raúl Illarramendi, Incarner la poussière, du 5 septembre au 7 octobre 2015, du lundi au samedi de 10h à 19h, Galerie Karsten Greve, 5, rue Debelleyme, 75003, Paris.
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