PIETER HUGO : « KIN » / L’intime
- Posted by Béatrice Cotte
- On 21 janvier 2015
- artiste sud-africain, Fondation, Paris, Photographie
La présence de natures mortes qui s’intercalent entre les portraits et les paysages est nouvelle dans l’œuvre de Pieter Hugo. Ce sont évidemment des memento mori, des effigies de meubles émoussés trônant dans des intérieurs modestes et décrépits qui font écho aux rides des visages, aux épidermes sans fard des portraits. Les murs comme les personnes photographiées portent les stigmates de la pauvreté, de l’histoire…En somme, Pieter Hugo nous propose une exposition très allégorique qui nous plonge dans un silence lourd de sens.
Le silence, le sentiment de solitude qui se dégage de ces photographies, sont ce qui frappe en premier lorsque l’on pénètre dans l’exposition. C’est le résultat d’une intrusion claire de la sphère de l’intime.
Pieter Hugo, Green Point Common, Le Cap, 2013
C’est une petite exposition poignante que je vous invite à découvrir à la Fondation Henri Cartier-Bresson. A l’heure où notre premier ministre clame qu’il existe en France un « apartheid » territorial, social, ethnique, qui s’est imposé à notre pays, le regard du photographe sud-africain Pieter Hugo sur son pays nous impose de regarder le nôtre avec un œil encore plus vigilant…
Pieter Hugo, Daniela Beukman, Milnerton, 2013
Né en 1976, cet autodidacte est un artiste majeur de la scène africaine. A travers une quarantaine de photographies, exposées pour la première fois en France, Pieter Hugopropose une réflexion émouvante sur la complexité de l’identité sud-africaine postapartheid.
Intitulée « Kin », l’intime, cette exposition dévoile à travers des paysages, des portraits de proches et des natures mortes, une vision personnelle et acérée de l’Afrique du Sud. Un ressenti intime, un portrait saisissant et sans concession.
Pieter Hugo, Ann Sallies, ma nourrice, Douglas, 2013
Après avoir travaillé dans différents pays du continent africain, l’artiste a choisi de se confronter à sa terre natale, l’Afrique du Sud. Devenir père, fonder une famille, a déclenché chez lui la question de l’appartenance. Si cette question semble naturelle pour la plupart d’entre nous, elle se révèle moins évidente lorsqu’on est Afrikaner et qu’on a grandit dans un pays aussi conflictuel, fracturé et blessé que l’Afrique du Sud.
Réalisé au cours des huit dernières années, ce travail photographique sociologique et autobiographique est une exploration intime de ce pays. L’artiste y aborde des thèmes complexes comme la colonisation, la diversité raciale et les disparités économiques.
« Kin » tente d’évaluer le fossé qui sépare les idéaux d’une société et sa réalité. Pieter Hugo
Pieter Hugo, En périphérie de Pretoria, 2013
La remarquable scénographie de l’exposition insuffle un rythme, un jeu de correspondance entre les motifs, qui servent également le propos de l’artiste.
Vue de l’exposition « Kin » de Pieter Hugo à la Fondation Cartier-Bresson, Paris.
Pieter Hugo, La maison des Besters, Vermaaklikheid, 2013
Tout ceci n’est pas sans faire référence aux scènes intimistes et aux natures mortes des peintures hollandaises du 17ème siècle. Cet héritage de l’art hollandais, fait référence bien évidemment à la colonisation de l’Afrique du Sud par les néerlandais au 17ème siècle. Afrikaner, l’artiste s’interroge donc, aussi, via sa pratique artistique sur ses origines, son appartenance.
« L’Afrique est ma terre natale, mais je suis blanc. Je me sens africain, quel qu’en soit le sens, mais si on demande à n’importe qui en Afrique du sud si je suis africain, la réponse sera toujours négative. Je ne me sens pas en phase avec la topographie sociale de cette terre, et c’est sûrement la raison pour laquelle je suis devenu photographe. » Pieter Hugo
La puissance des regards, la tristesse, la force et parfois la violence qui s’en dégagent, la sénescence des peaux meurtries par la vie, dressent également le portrait d’un pays qui souffre encore…
Pieter Hugo, Thoba Calvin et Tshepo Cameron Sithole-Modisane, Pretoria, 2013
La fracture sociale transparaît clairement dans cette série, à travers la juxtaposition de paysages qui contrastent fortement (township/quartiers résidentiels), ou de portraits de personnes de conditions, de couleurs, de communautés différentes, qui ne se mélangent pas. Il n’y a aucun portrait de noir et de blanc ensemble dans cette exposition… Le sentiment de solitude éclate encore plus vivement à travers ces photographies. Les personnes sont seules dans leur cadre. Les rares portraits de groupe montrent des individus qui se serrent les uns contre les autres, comme pour mieux affronter ensemble cet isolement. Mis côte à côte ces photographies offrent un condensé probant des relations entre les Africains du Sud.
Pieter Hugo, Daniel Richards, Milnerton, 2013
La blessure est là, présentée sans emphase ni misérabilisme. Pieter Hugo paraît déchiré entre le constat amer que la fin de l’apartheid est loin d’avoir résolu la violence ou les inégalités, et le désir de comprendre si une vie simple, un « home », une harmonie est possible en Afrique du Sud.
La série « Kin » est une tentative pour l’artiste de trouver sa place dans un pays à l’histoire complexe et à l’avenir incertain où le poids du passé pèse encore trop sur l’histoire collective et individuelle.
Une exposition intense et passionnante, aussi réussie dans sa forme que sur le fond. Qui ne peut laisser insensible dans le contexte actuel en France!
Biographie de Pieter Hugo
Né à Johannesburg en 1976, Pieter Hugo grandit au Cap, où il réside toujours. Autodidacte, il commence à s’intéresser à la photographie à 12 ans lorsqu’il reçoit son premier appareil photo alors que la fin de l’Apartheid est proclamée en Afrique du Sud. L’émotion et la peur ambiantes le poussent à photographier ce qui l’entoure. Dans un premier temps, il travaille comme photojournaliste mais se dirige rapidement vers une photographie plus personnelle.
Pieter Hugo a réalisé d’importants projets accompagnés de livres comme There’s a place in hell for me and my friends (2011-2012), Permanent error(2010), Nollywood (2009), The hyena and other men (2005-2007), Portraits of people with albinism (2003) ou Rwanda: Vestiges of a genocide(2004). Son travail a été exposé dans les musées du monde entier et il a reçu de nombreux prix photographiques comme le Premier Prix du World Press Photo dans la catégorie portraits (2005) ou le Prix Découverte des Rencontres d’Arles (2008). En 2011, il reçoit le Prix Seydou Keita des Rencontres de Bamako.
A découvrir du 14 janvier au 26 avril 2015,
Fondation Henri Cartier-Bresson,
2, Impasse Lebouis, 75014 Paris.
Du mardi au dimanche de 13h00 à 18h30,
le samedi de 11h00 à 18h45.
Nocturne le mercredi jusqu’à 20h30.
Plus d’informations sur le site www.henricartierbresson.org
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