L’ATLAS : « Un travail de Titan »
- Posted by Béatrice Cotte
- On 5 décembre 2013
- artiste français, Paris, Street Art, Visite d'atelier
19h, il fait déjà nuit noire et j’entame une longue traversée souterraine de Paris. Sortie Mairie des Lilas. Là, sous un crachin hivernal, je m’aventure à la recherche d’un lieu « mythique », l’Atelier de « L’Atlas ». Après une heure de voyage, je trouve enfin l’endroit dont on m’a souvent parlé : un immeuble moderne qui abrite plusieurs ateliers d’artistes célèbres de la planète « Street art » comme Jonone, Speedy Graphito, Space Invader…Le bâtiment ressemble à un immeuble d’habitation banal, sans âme particulière ; en y entrant on a du mal à imaginer qu’il renferme de merveilleux ateliers d’artistes !
Au fond d’un couloir à gauche une porte s’ouvre et je sors enfin de l’obscurité peu avenante de la nuit pour entrer dans la lumière de l’atelier de L’Atlas. Accueillie par L’artiste et sa galeriste Magda Danysz, je découvre avec stupéfaction un endroit ultra spacieux et confortable qu’il partage avec Tanc. Un lieu qui respire à la fois la sérénité, le travail, l’énergie et la créativité. Sur fond de musique apaisante, l’artiste d’une trentaine d’années, au visage d’ « Apollon », au regard pétillant d’intelligence m’explique d’une voix posée son parcours et son art. L’image clichée du « street artiste » un peu « bad boy » oeuvrant dans les bas fonds de friches industrielles est définitivement enterrée !
L’atelier que l’artiste partage avec un autre street artiste, Tanc. |
Pourtant, il s’agit bien d’un artiste qui a commencé à faire ses premiers graffitis « sauvages » dans la rue à l’âge de 12 ans. Né en 1978, il débute dans les années 1990, baigne dans la culture hip hop de l’époque, la seconde vague, et se fait connaître grâce à la technique du « gaffer » dans laquelle il excelle. Ce n’est que 10 ans plus tard qu’il passe du mur à la toile, de la rue à l’atelier, sans pour autant abandonner totalement l’espace urbain. Il réalise aujourd’hui des commandes publiques sur des murs ou des places.
L’Atlas, Beaubourg, Paris, courtesy Galerie Magda Danysz |
L’Atlas m’explique d’ailleurs qu’il revient de Martinique, où il a réalisé, à l’occasion de la première édition de la Biennale d’Art contemporain, un mur de plus de 18 mètres de Hauteur à Fort de France. Un travail de Titan ! Seul perché sur son échafaudage, il a peint 5 jours d’affilés son œuvre et au cordeau s’il vous plaît !
L’Atlas, réalisation d’un mur de 18 mètres de hauteur à Fort de France en Martinique, courtesy Galerie Magda Danysz |
Dans la mythologie grecque, L’Atlasest classé parmi les Géants Titans. Il fut condamné par Zeus à porter la voûte céleste sur ses épaules jusqu’à la fin des temps. A l’image de ce titan courageux, auquel il a emprunté son nom d’artiste, L’Atlas porte son art et des messages universels « sur son dos » dans le monde entier. Ce nom n’est-il pas également un clin d’œil au Mont Atlas, auquel le même Titan donna son nom ? L’artiste affectionne tout particulièrement cette région du monde, après des études en Histoire de l’art et en archéologie, il passa de longs séjours au Maroc afin de s’initier à la calligraphie arabe traditionnelle comme la calligraphie décorative Koufi…
Après des années de graffitis et donc de travail graphique sur les lettres, il voit l’opportunité, en étudiant les calligraphies anciennes, d’amener plus loin sa pratique artistique. Il lui paraît important de créer un lien entre un art ancien et l’art contemporain en retravaillant des gestes ancestraux avec des techniques modernes. Il veut s’inscrire dans une certaine continuité en réinventant l’écriture. Cela donne à son travail tout son sens, lui permet de le faire évoluer vers des voies nouvelles, d’explorer de nouvelles idées et de réaliser le mariage culturel original du graffiti « occidental » avec la calligraphie « orientale » traditionnelle.
Moi, qui, il faut bien modestement l’avouer, ne connaissais pas grand chose de son travail avant de débarquer ce soir là dans son atelier, j’étais conquise ! Cette démarche artistique rassemble tout ce que j’apprécie dans l’art : des références au passé, un travail sur le geste, l’invention d’un langage unique et original, esthétique et révélateur d’une profondeur d’âme. Je sentais bien, en regardant ses œuvres, qu’il ne fallait pas s’arrêter à l’aspect simplement géométrique et cinétique des dessins, mais qu’il y avait une véritable modernité, un message, une philosophie à découvrir au delà !
L’Atlas, m’initie donc rapidement à la lecture de ses œuvres. Il me donne la clé « rétinienne » qui me permettra dorénavant de pouvoir lire son nom L’ATLAS dans chacune d’entre-elles.
Ses apprentissages au Marocmais aussi en Egypte, Syrie et en Chine avec des calligraphes classiques, lui on permit d’inventer sa propre calligraphie, son propre alphabet, une typographie purement « Atlatienne », une signature. Son logogramme : L’ATLAS est devenu la clef de voûte de chacune de ses œuvres.
L’Atlas, Dessin préparatoire |
Projet d’architecture urbaine |
Au départ de chaque œuvre, il y a toujours un dessin préparatoire réalisé à la main. L’Atlas, aime se jouer de la perfection et de la facilité des machines modernes, en réalisant manuellement des œuvres aussi parfaites que celles réalisées mécaniquement par des ordinateurs. Chaque œuvre est un défi aux nouvelles technologies. Ensuite il applique sur un support toujours la même structure de base, un maillage, un quadrillage, une mise aux carreaux « classique » mais ici réalisée avec des bandes adhésives. Sur cette matrice, l’artiste vient disposer et pulvériser à l’aérosol son logogramme, c’est la base symbolique de chaque dessin. Puis il refait une grille dans l’espace laissé entre les lettres pour brouiller la lecture, jouer avec l’écriture et l’abstraction géométrique, flirter avec les limites de la visibilité rétinienne. L’utilisation du scotch repositionnable permet de laisser la place au changement en cours de réalisation. A chaque grille de scotch correspond l’aplat à la bombe d’une couleur. Lorsque L’Atlas retire les bandes adhésives, des motifs géométriques aux bords nets et parfaits apparaissent.
Au final, l’œuvre présente un dessin géométrique abstrait, qui joue avec l’œil et l’esprit. On peut y voir selon son imagination et ses références culturelles, une image de labyrinthe, un plan de jardin à la française, un flashcode, des pixels, un plan de ville antique, un mandala, un Koufi, un sceau chinois, une référence à Vasarely, à Mondrian, aux artistes cinétiques…Ce qui est certain, c’est que l’œuvre parle à notre mémoire rétinienne universelle et instaure ainsi un dialogue, une relation entre l’œuvre et celui qui la regarde. Ce dialogue permanent entre ancien et contemporain donne à son travail une profondeur toute particulière, à laquelle on ne peut rester insensible.
Son œuvre révèle une grande maîtrise technique qui le mène à une esthétique minimale d’une grande pureté. Sans fioriture dans le choix des couleurs, il joue sur les contrastes entre les tons de gris, blanc et noir.
Parmi les toiles exposées dans l’atelier, L’Atlas me présente ses dernières créations qu’il appelle « sfumato », là encore une référence à l’histoire de l’art et au grand Léonard de Vinci, inventeur de cette technique. Je trouve cette nouvelle phase de son travail très intéressante, elle trouble toujours le regard mais d’une façon plus floue, plus vaporeuse, plus énigmatique. L’effet est obtenu en laissant certaines bandes adhésives collées sur la toile. Une nouvelle voie qui laisse la place aux accidents, à certaines aspérités, une touche moins nette, moins calculée et plus spontanée, que l’artiste assume totalement. L’idée également de « quitter cette obsession du nom qui vient du graffiti, et de trouver quelque chose qui pousse le spectateur à bouger, s’approcher, s’écarter, prendre une distance avec l’œuvre, et de manière métaphorique prendre une distance avec soi » dixit L’Atlas.
L’Atlas « Sfumato » |
Oeuvre finie, les bandes adhésives crèmes deviennent des éléments stylistiques à part entière de l’oeuvre. |
Oui, à y regarder de plus près, l’art de l’Atlas, qui se construit à travers un langage unique, entre calligraphie et graffiti, écriture et géométrie, nous révèle un être, un esprit, et une quête finalement spirituelle.
Galerie Magda Danysz : www.magda-gallery.com
Dernière exposition : « l’Atlas : Extractions », du 12 octobre au 9 novembre 2013
Page Facebook de l’artiste : https://www.facebook.com/latlas.artist
En projet une résidence artistique à Shangaï et une exposition à New-York
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