LA VILLA EMPAIN : TURBULENCES II
- Posted by Béatrice Cotte
- On 14 mai 2013
- Belgique, Bruxelles, Exposition, Fondation d'Art Contemporain
Centre d’art, lieu de rencontres et de découvertes, la Villa Empain est aussi un remarquable témoin de l’architecture Art Déco, construite au début des années 1930 dans des matériaux nobles. Cette belle demeure, qui a été restaurée par la Fondation Boghossian et ouverte au public en avril 2010, est aujourd’hui un endroit dédié au dialogue entre l’Orient et l’Occident.
La Villa Empain se distingue d’un musée par son atmosphère de maison privée et la beauté de ses éléments décoratifs. Les visiteurs s’y imprègnent d’une ambiance raffinée en découvrant à travers ses expositions d’autres modes de vie, d’autres cultures, d’autres regards sur le monde contemporain.
Actuellement, on peut y découvrir une très belle exposition : Turbulences II, montée en collaboration avec l’ Espace Culturel Louis Vuitton de Paris, une magnifique occasion pour FAWM de vous parler de ce lieu hors du commun !
La Villa Empain
C’est en 1930, âgé d’à peine 22 ans, que Louis Empain, second fils du richissime homme d’affaires Edouard Empain, se lance dans la construction de la villa qu’il se destine le long de l’avenue des Nations, rebaptisée plus tard avenue Franklin Roosevelt.
Photographie d’archives |
Le projet que conçoit l’architecte d’origine suisse Michel Polak illustre bien les goûts de Louis Empain: d’un côté, le luxe des matériaux et des détails chers à l’Art déco ; de l’autre, des lignes simples et symétriques dont toute ornementation superflue est bannie. Dès la fin des travaux, en 1934, le résultat fait sensation par ce curieux mélange de raffinement et de rigueur.
En 1937, s’installant au Canada, il renonce à sa somptueuse villa bruxelloise au profit de l’Etat belge, dans le but d’y installer le Musée royal des Arts décoratifs contemporains. Malheureusement, la guerre met prématurément fin aux activités du musée, la villa étant réquisitionnée par l’Armée allemande en novembre 1943.
A la fin de la guerre, niant les clauses explicites de la donation du baron Empain, l’Etat belge prend la décision d’installer l’Ambassade d’URSS dans la villa. Cette décision sera contestée par la famille, qui récupère son bien à la fin des années 1960. Pendant quelques années, Louis Empain y présentera des expositions consacrées à l’art contemporain.
Vue depuis le salon d’honneur sur la piscine |
En 1973, il vend la villa à Monsieur Tcherkezian, un industriel du tabac. Ce dernier loue la propriété à la chaîne de radio et de télévision luxembourgeoise RTL qui l’occupera jusqu’au début des années 1990. Commence alors une période sombre pour la villa. Privée d’affectation, louée pour des événements ponctuels et revendue une nouvelle fois, elle sera partiellement détruite et vandalisée. Lorsque la Fondation Boghossian acquiert la Villa Empain en 2006, son état de délabrement avancé nécessite une complète restauration. Celle-ci est entamée durant l’été 2008, après le classement du site par le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale.
L’exposition Turbulences II
Cette exposition conçue par les historiens de l’art David Rosenberg et Pierre Sterckxs’inspire d’une réflexion sur les phénomènes de la turbulence, associés à l’art depuis les études faites à la Renaissance par Léonard de Vinci. 38 artistes contemporains originaires de différents pays et cultures ont été choisis et invités à y participer.
Michel François, Enroulement, 2010, caoutchouc et plâtre, courtesy Galerie Kamel Mennour |
A l’origine, le mot « turbulence » désignait « le mouvement désordonné de la foule ». Léonard de Vinci a été le tout premier artiste à s’intéresser directement à ce processus et à employer le mot italien de « torbolenza ». Il était fasciné par les flux hydrauliques dont il multiplia les dessins de machines élévatrices d’eau, de tourbillons aquatiques ou aériens. Des artistes et penseurs de la seconde moitié du Quattrocento, Léonard de Vincia été sans nul doute celui qui aura le mieux saisi et représenté l’écartèlement lyrique et tragique d’un homme nouveau, entre le désordre chaotique et l’ordre de la raison.
Contrairement à d’autres états de la matière dits « stables » ou « équilibrés », les processus turbulents sont extrêmement mouvants, irréversibles et imprévisibles.
Traversées par des flux fascinants, les œuvres présentées dans cette exposition témoignent de l’art de jouer avec les turbulences. L’ordre et le désordre, ici étroitement liés, proposent un univers dynamique, poétique et enchanté.
Rez-de-Chaussée
L’ancien bureau de Louis Empaina été affecté à la billetterie et à la boutique de la Fondation Boghossian. De l’autre côté de l’entrée, l’ancien bureau du secrétaire du baron Empain marque le début du parcours :
Zilvinas Kempinas, Oasis, 2010, ventilateur, arc en acier, bande magnétique, Courtesy Galerija Vartai, Vilnius |
Zilvinas Kempinas (né en 1969 en Lituanie) partage avec les autres artistes de cette exposition une fascination pour le spectacle hypnotique des ondulations serpentines, des fluctuations et des oscillations subtiles. Ici, un mécanisme simplissime et apparent fait partie intégrante de l’œuvre, créant ainsi des zones de turbulence à l’intérieur desquelles un long ruban magnétique danse et ondoie sans fin.
Shinichi Maruyama, Nude #1, 2012, courtesy Bruce Silverstein Gallery, New York. |
L’artiste Shinichi Maruyama (né en 1968 à Nagano au Japon) enregistre les mouvements d’un danseur de manière à en produire des images totalement fluides. Le rapport du temps d’exposition et du temps de la danse du modèle donne à voir des rubans tourbillonnants de chair et de durée. C’est là que la turbulence manifeste sa vertu de noyau générateur. Elle agit comme une turbine nichée au cœur du réel.
En pénétrant dans le grand hall central, c’est le puits de lumière qui attire le premier regard et donne un éclat particulier aux marbres qui recouvrent le sol et les murs de cet espace majestueux.
Jean-Michel Othoniel, Collier, 2010, verre de Murano, feuille d’or, structure en acier, Collection fondation Boghossian |
L’artiste français Jean-Michel Othoniel a choisi de présenter ici une œuvre monumentale, réalisée pour la Villa Empain en 2010. Symbole d’élégance, ce collier géant a été conçu en verre de Murano et en feuilles d’or soufflées. Le choix de ces matériaux a été inspiré par le rôle qu’a longtemps joué Venise comme carrefour des échanges entre l’Orient et l’Occident.
Wim Delvoye, Daphnis & Chloé, 2009, bronze poli Courtesy de l’artiste |
Sur le côté, une remarquable sculpture de l’artiste belge Wim Delvoye (né en 1965 à Wervik en Belgique) à qui l’amour pour la ligne gothique inspire des distorsions turbulentes. Tordue en anneaux topologiques, la ligne devient insaisissable, pure variation entre le dehors et le dedans.
Dans le salon d’honneur, une grande baie vitrée permet un coup d’œil sur les terrasses et la piscine extérieure entièrement reconstruite.
Ajouter une légende |
Petroc Sesti, Perpetual Void, 2009, verre scientifique, Courtesy Aly Afshar, gallery Etemad, Dubaï |
Pour Petroc Sesti(né en 1973 à Londres), dont une œuvre imposante est présentée devant les fenêtres, flux et turbulences constituent le fondement de ses recherches. Confinés à l’intérieur d’un dispositif aux formes épurées, tourbillons et vortex apparaissent miraculeusement au cœur d’une masse liquide animée d’un mouvement giratoire dont l’origine demeure dissimulée. En s’animant, le fluide transparent brasse et diffracte toutes les images qui s’y reflètent.
Elias Crespin, Plano Flexionante Circular, 2012, Aluminium, nylon, moteurs, ordinateur, Courtesy de l’artiste |
Elias Crespin(né en 1965 à Caracas) est sans nul doute celui qui donne le mieux à voir des ondulations modulées. Ses mobiles, constitués de tigelles d’acier suspendues et programmées par ordinateur, rythment la lenteur, font et défont des géométries élémentaires, enchantent l’œil et la pensée.
Loris Cecchini, Wall wave vibration, 2012, Résine polyester, Courtesy Galleria Continua |
L’œuvre de Loris Ceccini(né en 1969 à Milan) est du même ordre, faisant vibrer un mur blanc par ondes expansives. Au vrai, il n’y a plus de mur, avec Ceccini, seulement une paroi-membrane, l’espace s’y métamorphosant en surface ouverte et vibrante.
Premier étage
Vue de la coursive du 1er étage avec les oeuvres de Basserode |
Sur la coursive qui encadre le puits de lumière, une série d’œuvres de Basserode(né en 1958 à Nice) évoquent le paradoxe de mouvement vertigineux et d’architecture stable dans les spirales d’arbres obtenues photographiquement.
Pascal Haudressy, Choice, 2011, projection, sculpture, résine époxy métal et caoutchouc, Courtesy de l’artiste |
En suivant le sens des aiguilles d’une montre, on accède à une ancienne chambre à coucher de la villa, où s’est installé Pascal Haudressy (né en 1968 à Paris) qui aime provoquer des tremblements au sein de la technologie. Sa turbulence fait constamment passer d’un réel à un autre, tissant les passerelles qui unissent les vibrations du virtuel et les images de l’objet.
Sachito Kodama, Morpho Tower, 2006, ferrofluide, fer, plastique, électro-aimant, verre, électricité , Courtesy de l’artiste |
Avec Sachiko Kodama(née en 1970 au Japon), on s’interroge sur la matière. Entre l’eau, l’acier, le mercure, une sorte de glu noire et lisse, le ‘ferrofluide’, rampe, devient érectile, parcourue d’ondes électroniques qui l’animent à partir d’un ordinateur. Cela génère des formes fugaces, des cactus coralliens de quelques instants. Et puis, cela se module à nouveau.
Dans le registre des graphes témoignant d’univers ondulatoires, l’œuvre de Giuseppe Penone (né en 1947 à Garessio en Italie) intitulée « Transcription musicale de la structure des arbres » (Ardèche, 2011) est incontournable. Giuseppe Penone a tracé en dessin et en partition musicale les ondes de choc qu’il a provoquées en frappant des arbres. Bruit et musique associés en une seule turbulence audio-visuelle…
Miguel Chevalier, l’origine du monde, 2013, ordinateur linux, caméras, vidéoprojecteurs, logiciels, musique, Courtesy de l’artiste |
Avec Miguel Chevalier(né en 1959 à Mexico) dans l’ancien boudoir de Louis Empain, on accède à un nouvel art monumental. Le mur sert d’écran où l’on s’immerge : bain de la couleur et de la lumière où règne l’interactivité. Fresquiste des nouveaux médias, Miguel Chevalier joue d’une palette qui irradie avec la force des lumières électriques émises, qui va de l’informel aux signes iconiques de la technologie.
Lionel Estève, Danse sourde, 2013, technique mixte, Courtesy Albert Baronian Gallery, Bruxelles |
Donnant vue sur le jardin, la chambre destinée à l’origine à Louis Empain, avec son balcon arrondi surmonté d’une pergola, présente une œuvre mobile de Lionel Estève (né en 1967 à Lyon). A partir de sphères, d’alignements, de déclinaisons, il enfile des centaines de perles colorées qui se meuvent en une féérie de lumière-couleur.
Cy Trombly, untitled, 1971, housepoint et crayons de cire sur papier, Collection privée, Bruxelles |
L’art contemporain semble parfois tenté par de telles disparitions. La question a été posée par Cy Twombly (né en 1928 à Lexington aux USA, décédé en 2011 à Rome) : que reste-t-il sur la toile d’une gestuelle graphique ? Avec Cy Twombly, on passe à l’acteur impersonnel et ses graphes turbulents témoignent d’ultimes possibles.
Michal Rovner, Hitarberuut II, 2011, pierre et projection vidéo, Courtesy Pace Gallery, Londres |
L’artiste israélienne Michal Rovner (née en 1957 à Tel-Aviv) émeut des pierres de fouilles ou de vieux livres au moyen de projections de petits signes numériques flexibles et mouvants. Parfois, ils se bornent à remuer, mais le plus souvent, ils entament de lentes migrations en des lieux de micro-turbulences. Ici, des petits nomades pixélisés évoquent mémoire profonde de la pierre taillée ou du livre ancien, réflexion politique sur la diaspora, la condition humaine, la territorialité, la grégarité.
Pe Lang, Moving objects 692-803, 2012, moteur, silicone, aluminium, Courtesy Galerie Mario Mazzoli, Berlin |
Dans la pièce suivante, l’œuvre de Pe Lang(né en 1974 en Suisse) présente des anneaux qui se déplacent sur des tiges horizontales selon des attractions et répulsions inattendues. Nulle composition, rien que des déplacements. La turbulence ici est faite d’aller-retours.
Julie Mehretu, Excerpt (suspension), 2003, encre, peinture acrylique sur toile, Collection privée, Bruxelles |
A première vue, les œuvres de Julie Mehretu (née en 1971 à Addis-Abeba) font songer à des explosions d’univers et à leurs dispersions. Mais il s’agit chaque fois d’un big-bang, d’une genèse polycentrique. Cela fulgure de partout et en même temps !
Comme celle de Louis Empain, la chambre conçue pour son épouse a malheureusement perdu son mobilier d’origine et a nécessité une restauration complète.
Abdelkader Benchamma, Flux et structures, 2013, Installation in situ, feutre, encre et fusain, Courtesy de l’artiste |
L’observation attentive des processus incontrôlables et violents constitue la matière et le sujet de la démarche picturale de Abdelkader Benchamma (né en 1975 à Mazamet en France). Recourant exclusivement au noir et au blanc, il réalise souvent, comme ici sur la surface du mur, une sorte de roman graphique où se déploie le théâtre d’un monde chaotique expurgé de toute présence humaine.
Le sous-sol
Par l’escalier descendant au départ du salon intime, on accède au lobby et au salon de thé de la Villa Empain, espace autrefois affecté aux cuisines et à l’office.
Moataz Nasr, Merge et Emerge, 2011, vidéo, Courtesy Galleria Continua |
Les figures colorées des danseurs soufis filmées par Moataz Nasr (né en 1961 à Alexandrie) se détachent dans l’obscurité. Marquées par une conscience tant spirituelle que politique, les œuvres de Nasr mêlent de nombreux emprunts et références au Soufismeainsi qu’à la culture arabe classique (calligraphie, broderie et poésie, entre autres). Tournoyant en cercle, trois danseurs (nombre symbolisant l’équilibre) transmutent la conscience qu’ils ont d’eux-mêmes et du monde qui les entoure. Leurs robes verte, rouge et bleue s’étalent dans l’espace tandis qu’eux-mêmes se concentrent autour de l’axe vertical reliant terre et ciel qui les traverse, suggérant qu’au cœur d’un tourbillon, quelque chose demeure immobile, impassible.
Comme vous l’aurez constaté à travers cet article, la Villa Empain est un lieu d’émotions partagées et d’émerveillement qui ne vous laissera pas indifférent, courez-y vite !
Exposition TURBULENCES II
Jusqu’au 1er septembre 2013, ouvert tous les jours de 10h00 à 18h30, sauf le lundi.
VILLA EMPAIN- BOGHOSSIAN FOUNDATION
Avenue Franklin Rooseveltlaan 67 – 1050 BRUXELLES
+ 32 (0)2 627 52 30
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