ART ROTTERDAM 2016 : la sélection de la collectionneuse Sandra Mulliez-Hegedus
- Posted by Béatrice Cotte
- On 16 février 2016
- Foire Art contemporain, Hollande, Rotterdam
Quinze jours après Art Genève, nous voici dans un autre pays pour visiter une autre foire, dans une toute autre ambiance, avec une nouvelle personnalité et d’autres choix artistiques.
Jeudi 11 février au matin, je rejoins Sandra Mulliez-Hegedus, collectionneuse émérite, sur les quais de la Gare du Nord, direction la Hollande pour parcourir en sa compagnie ART ROTTERDAM 2016.
Pour elle et moi c’est une première, pourtant la foire existe depuis dix-sept ans et n’en est pas à sa première édition! Nous sommes donc toutes les deux très curieuses de découvrir l’ADN de cette manifestation qui se définie comme l’événement incontournable pour appréhender la jeune scène émergente hollandaise et les dernières tendances internationales développées dans les arts visuels. Art Rotterdam semble sur le papier une mine de jeunes talents, de nouvelles idées et de création.
La foire, l’an dernier visitée par 25 000 visiteurs, est en pleine expansion. Son image énergique est le reflet d’une ville elle-même en mouvement. Son directeur, Fons Hop n’hésite pas à clamer haut et fort que Rotterdam sera très rapidement le prochain Berlin!
Le programme sur le papier s’annonce donc fort enthousiasmant et Sandra Mulliez-Hegedus espère que cette visite sera l’occasion de faire de nouvelles découvertes…
En arrivant sur les lieux, notre premier choc visuel sera l’architecture moderniste du bâtiment qui accueille la foire pendant 4 jours. La Van Nelle Fabrique, ancien lieu de traitement de tabac et de fabrication de café, est en effet inscrite au patrimoine de l’Unesco depuis 2014.
« Magnifique! » s’exclame Sandra qui sort immédiatement son portable pour prendre plusieurs photos de cet endroit insolite. Les lignes graphiques et métalliques de l’architecture, soulignées par un rayon de soleil à notre arrivée, la séduisent totalement.
Quelques centaines de mètres plus loin, face à l’entrée du bâtiment nous découvrons, à l’extérieur, une étrange maison blanche, en bois, aux volets fermés, qui semble « perdue » et « figée » au milieu de cette usine très animée. C’est une installation spécialement conçue pour la foire par l’artiste new-yorkais Ryan Mendoza.
En 2013, lors d’une visite dans la ville de Detroit, ravagée par la crise de l’industrie automobile, l’artiste découvre des quartiers entiers laissés à l’abandon, dont les maisons sont vendues aux enchères pour à peine 1000$, ou sont simplement démolies. L’artiste décide de sauver l’une de ces maisons en la démontant pour la reconstruire en Europe.
Detroit Home, devient alors une oeuvre de mémoire et le témoin des conséquences désastreuses de la crise de 2008 sur toute une couche de la population américaine, un symbole fort et une critique engagée. L’installation exposée pour la première fois à Art Rotterdam, rejoindra ensuite les collections de la renommée Verbeke Foundation en Belgique.
Le tour de cette « ruine contemporaine » effectué, nous entrons dans le bâtiment principal, où les stands de 103 galeries nous attendent. Les galeristes et les artistes viennent principalement des Pays-Bas, d’Allemagne et de Belgique. Pour la France seulement trois enseignes participent à cette édition (Lily Robert, SNAP Projects, Marine Veilleux). Première constatation, nous ne connaissons quasi aucun des noms inscrits sur le plan, la visite s’annonce donc « rafraîchissante ».
La foire se divise en 5 pôles :
. MAIN SECTION, qui englobe la majorité des exposants soit 78 galeries,
. NEW ART SECTION, avec 25 solo-shows présentés par de jeunes galeries européennes,
. PROJECTIONS, un espace consacré à la vidéo, avec 12 oeuvres projetées sur d’immenses écrans,
. PROSPECTS & CONCEPTS, dans un ancien entrepôt, une grande « halle », une section non-commerciale présente 54 jeunes artistes hollandais.
. INTERSECTIONS, à l’extérieur du bâtiment principal, dans trois espaces distincts se déploient des projets, installations, performances et conférences.
Nous nous engageons dans la première allée de la section principale, là tout est nouveauté ou presque, après une dizaine de stands, Sandra remarque sur le stand de la galerie Lumen Travo, une oeuvre d’Otobong Nkanga qu’elle a acheté il y a quelques temps à Paris chez Fabienne Leclerc! Mise à part cette oeuvre, et celles, plus loin des frères Chapman et d’Hans Op de Beeck, nous nous rendons vite compte que nous plongeons dans une scène totalement « vierge » de références. Pas ou peu de grands noms d’artistes internationaux, l’occasion de parcourir les allées avec un regard libéré des diktats du marché!
C’est ce qui est agréable avec Sandra Mulliez-Hegedus, elle se moque de savoir si un artiste est déjà « un nom » ou non, son oeil est intimement relié à son coeur. Ses choix sont dans un premier temps émotionnels, instinctifs, puis, si une oeuvre l’attire, elle s’intéresse à la démarche et au discours de l’artiste. Ainsi, pour cette première visite d’ART ROTTERDAM, nous avons mis en application sa méthode pour repérer des oeuvres et Sandra a accepté de remplir pour follow Art With Me un « shopping bag » fictif!
Sa sélection commence sur le stand de la galerie berlinoise Mazzoli, avec Spazio Visivo un projet à la fois visuel et audio de deux artistes italiens, Paolo Cavinato (installation) et Stefano Trevisi (son). Déployée sur 6 mètres de long, l’oeuvre est composée de modules, petites architectures, faites de photographies, bois, miroirs, lumière et musique. A la fois spatiale, théâtrale, sensorielle, mystérieuse, l’oeuvre joue avec les échelles, la mémoire (références à des oeuvres et aux perspectives d’artistes de la Renaissance italienne), combine espace réel et imaginaire, son, vision et toucher (titre de l’oeuvre Hands). Cette oeuvre nous plonge, avec une subtile intelligence, dans un paysage rêvé, un espace absolu. Un mural qui attire, fascine et dans lequel l’oeil se ballade à l’infini.
Comme un écho à l’architecture très prégnante du lieu, quelques mètres plus loin, Sandra repère un dessin en noir et blanc, extrêmement réaliste, d’une façade de building, de Rik De Boe, artiste belge né en 1964 et représenté par la galerie Sofie Van de Velde basée à Anvers.
Chez Lily Robert, Sandra s’approche d’un autre dessin au lavis de l’artiste français Julien Beneyton (1977). La composition, le cadrage, l’hyperréalisme des personnes âgées, assisses sur leur banc sous l’enseigne de l’hôtel Beau Rivage de Nice, l’amuse.
Le galeriste Olivier Robert lui explique que l’artiste s’attache à portraiturer dans ses dessins ou ses peintures des personnes ordinaires ou socialement vulnérables. La profusion des détails et la précision du rendu rappellent les peintures flamandes de la Renaissance, mais cette minutie développée sur des personnages à plus grande échelle, leur confère également un aspect un peu « kitch ».
Cette profusion, cette attention du détail, cette critique sociale, on les retrouve dans les sculptures de Jake et Dino Chapman, dont la Galerie Gabriel Rolt (Amsterdam) donnait à voir une grande oeuvre. Après un long moment de contemplation de cette pièce, Sandra jettera son dévolu sur une plus petite oeuvre des frères Chapman cachée dans la réserve du stand. « Un petit bijou ».
Ce jour là, d’humeur malicieuse, l’oeil de Sandra Mulliez-Hegedus s’arrête ensuite sur une photographie de Pentti Sammallahti, merveilleux photographe finlandais (1950), représenté en France par la Galerie Camera Obscura.
Les photographies de Pentti Sammallahti sont de celles qui peuvent être universellement comprises. Son travail est virtuose, plein d’humanité et d’humour. Il étonne par sa qualité plastique et parle aussi bien au connaisseur qu’au profane. Henri Cartier-Bresson, apercevant par hasard quelques tirages de Sammallahti, étonné de voir un travail de cette qualité, totalement inconnu de lui, fit l’acquisition d’un tirage, avant de l’inclure dans son choix des cent photographies choisies pour inaugurer sa fondation.
La photographie choisie par Sandra fait partie de la série «Routes de Russie» où Sammallahti dispersait des sardines séchées pour attirer les chiens errants, protagonistes de ces images panoramiques et enneigées. Chaque photographie agit sur notre imagination comme une véritable petite fable…
Nous terminons le tour de la section principale, avec deux installations de deux artistes hollandais qui ont tout particulièrement retenu l’attention de Sandra .
Video Palace #41, de l’artiste Joep van Liefland (1966) sur le stand de la galerie Van Zijll Langhout Contemporary Art, et When the twins were still beautiful de Thomas Kuijpers (1985) sur le stand de la galerie LhGWR. Les deux oeuvres montrent une collection, l’une de cassette VHS obsolètes, l’autre d’images et d’objets kitsch représentant les tours jumelles de New York. Dans un cas comme dans l’autre, les installations se présentent comme deux mémoriaux, érigés comme deux « musées » l’un dédié aux rébus de l’industrie cinématographique, l’autre à l’imagerie iconique de skyline de New York d’avant le 11 septembre.
Dans la section NEW ART, un seul solo show intéresse véritablement Sandra Mulliez-Hegedus, celui présenté par la galerie Cinnnamon de l’artiste norvégien Lars Morell (1980). En discutant avec l’artiste présent sur le stand, Sandra apprend qu’il a déjà exposé son travail au Palais de Tokyo dans le cadre des modules de la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent en 2013.
L’artiste crée de toutes pièces des illusions d’affiches anciennes, collée à l’envers sur des diasecs aux contours écornés. La pratique de Lars Morell prend sa source dans une curiosité allant de découvertes scientifiques anciennes aux cabinets des merveilles en passant par les variétés et les théâtres de magie. Un tel modus operandi lui permet de créer des installations où l’illusion vient stimuler l’œil et l’esprit du spectateur.
Nous plongeons ensuite dans le noir de l’espace consacré à l’art de la vidéo. Là, parmi les 12 oeuvres projetées en boucle sur grands écrans, une seule est un véritable « choc » visuel et émotionnel, The Thread d’Hans Op de Beeck(1969)! Je revois avec plaisir ce court-métrage spécialement conçu et réalisé pour l’exposition Le fil rouge au feu Centre Culturel Louis Vuitton.
En Asie, l’expression « le fil rouge » a une autre signification. Selon une légende chinoise, le dieu Yue Lao, « le Vieillard sous la lune », modèle des effigies d’hommes et de femmes et décide de leur destinée amoureuse. A l’aide de fils rouges, il relie ainsi ceux qui seront un jour unis. Dans son film Hans Op de Beeck interprète cette légende. Il met en scène un couple d’amoureux sous la forme de marionnettes « rock » dans un monde étrange et mystérieux. Il crée une forme de fiction visuelle muette qui procure des moments d’émerveillement, de silence et d’introspection, véritable poésie, peinture sur le sens de la vie et de la mort. Sandra, qui me confie adorer l’oeuvre de cet artiste belge, découvre pour la première fois cette oeuvre et en ressort très émue. C’est à son avis la meilleure oeuvre qu’offre à voir ART ROTTERDAM 2016.
Nous finissons notre petit tour par la nef dévolue aux 54 artistes émergents hollandais. Si l’oeuvre « cubique » de Malou van der Molen aiguise un peu notre curiosité, nous devons bien avouer notre déception sur les différentes propositions exposées dans ce hall…
En définitive, nous étions venues avec Sandra Mulliez-Hegedus à Art Rotterdam dans l’espoir de dénicher de nombreux jeunes artistes, peut-être différents? Mais, malheureusement, force est de constater que nous sommes un peu restée sur notre faim… Heureusement que la beauté du lieu domine cette manifestation et permet malgré tout de passer un agréable moment.
Merci mille fois à Sandra Mulliez-Hegedus pour cette sympathique visite d’Art Rotterdam en sa compagnie.
ART ROTTERDAM
Van Nelle Fabriek Rotterdam
11- 14 février 2016
0 Comments