Descriptif
Je vous conseille tout spécialement la nouvelle exposition de groupe « Il suffit d’un grand morceau de ciel« , inaugurée hier au soir à la Galerie Jérôme Pauchant. L’occasion de découvrir une toute nouvelle pièce de notre ami artiste Lyes Hammadouche, qui sera également présent avec d’autres nouvelles oeuvres au Palais de Tokyo la semaine prochaine!
En attendant, voici le très beau texte écrit sur cette exposition par Raphaëlle Romain, historienne de l’art :
Le paysage est une vue d’ensemble: le terme lui-même engage la vision et appelle réception. L’œil l’embrasse, quand, lui, attise les sens et saisit l’esprit. Frais, charmant, riant, sinistré, orageux, il réclame son qualificatif, autant que les humeurs et sentiments humains, aussi nommés «paysages de l’âme» ou «paysages intérieurs». Hugo et ses Contemplations, Rousseau et ses Rêveries du promeneur solitaire, Baudelaire et son «invitation au voyage», le paysage est, au fil des siècles, une source intarissable de création. Gaston Bachelard souligne ainsi que «le pays natal est moins une étendue qu’une matière; c’est un granit ou une terre, un vent ou une sècheresse, une eau ou une lumière. C’est en lui que nous matérialisons nos rêveries; c’est par lui que notre rêve prend sa juste substance ; c’est à lui que nous demandons notre couleur fondamentale».
Cinq artistes d’horizons variés sont réunis autour d’une vision contemplative et méditative de l’art : les œuvres des deux jeunes artistes parisiens Terencio – qui réalise sa première exposition en galerie, et Lyes Hammadouche, de la Berlinoise Lauryn Youden, côtoient celles d’artistes à la renommée internationale, le Britannique Nathaniel Rackowe, et le New-yorkais Evan Gruzis.
Affiches, bois, sable, vidéo amateur, matériaux de construction, teintures pour textiles, chaque artiste emploie des matériaux bruts ou bon marché pour les sublimer ; de la même manière que la nature, partant des éléments et des matières premières, compose une palette d’univers bigarrés. S’éloignant de la tradition classique de la représentation fondée sur la mimesis, chacun mime les processus de création de la nature elle-même pour engendrer un paysage à son image.
Au fil de la déambulation, les échos esthétiques ricochent dans l’espace de la galerie et font passer le spectateur d’un paysage mental à l’autre, d’une méditation à l’autre. Avec ses fonds d’affiches argentines collés sur de grandes toiles de lin enduites de peinture blanche, Terencio González laisse advenir les souvenirs des environnements qu’il a fréquentés et compose des variations vibrantes et lumineuses. Ce phénomène d’éblouissement coloré retrouve l’irisation plus confidentielle des spectres lumineux de Nathaniel Rackowe, néons dissimulés sous des éléments de chantier, ou celle plus prononcée des vidéos croisées d’un coucher de soleil sur la plage de Lauryn Youden. Le tranquille va-et-vient des vagues et les remous d’une musique lancinante rappelle tant la portée méditative et la fluidité des couleurs artificielles d’Evan Gruzis, que la force hypnotique du lent mouvement des paysages lunaires et des topographies inversées de Lyes Hammadouche.
L’«embrayeur cosmique», permettant l’association d’une image abstraite à l’idée de paysage, n’est plus alors concentré dans une simple ligne horizontale qui mettrait en présence la terre et le ciel ; mais dans une approche poétique qui sonde l’inconscient du spectateur. Lointains et impalpables, les paysages vécus – dont les couleurs, les lumières, les mouvements et les impressions perlent sur les rivages de notre imagination -, condensent une présence et une intensité qui force la contemplation et inaugurent l’ère de l’onirisme moderne : «On rêve avant de contempler. Avant d’être un spectacle conscient tout paysage est une expérience onirique» avait encore souligné Gaston Bachelard. Seule œuvre véritablement figurative, la vidéo de Lauryn Youden s’offre comme la carte postale déformante d’un cliché revisité étrangement proche de l’état de «sommeil paradisiaque» des habitants du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley : au soma, drogue contraignant au bonheur permanent, se substitue l’art, remède fascinant et apaisant saupoudré d’un trait d’humour.
En ces temps tourmentés, il a paru essentiel de rappeler à travers cette exposition que le rêve et la contemplation constituent, encore aujourd’hui, tant une échappatoire pour l’imagination qu’un creuset pour la création. Au terme de ce voyage, les œuvres apparaissent comme un antidote à la rapidité et à la saturation technologique et visuelle du monde, un temps suspendu qui fait raisonner cette phrase qu’Albert Camus écrivait dans ses carnets en 1939: «Il suffit d’un grand morceau de ciel, et le calme revient dans les cœurs trop tendus».
Informations Pratiques
- Nom de l'évènement"Il suffit d'un grand morceau de ciel"
- Date de l'évènement25 mars - 21 mai 2016
- LieuGalerie Jérôme Pauchant 61 rue Notre-Dame-de-Nazareth 75003 PARIS