MONTREAL FONDERIE DARLING : Entretien avec Caroline Andrieux
- Posted by Béatrice Cotte
- On 19 septembre 2014
- Canada, Centre d'art contemporain, Montréal, Résidences d'artistes
La Fonderie Darlingà Montréal est un centre d’arts visuels et de création à but non lucratif installé dans une ancienne fonderie. Inaugurée au début des années 2000 dans un quartier industriel alors à l’abandon, non loin du vieux port, ce complexe architectural de 3500 m2comprend deux salles d’exposition, huit ateliers de création, quatre résidences et un atelier technique. L’association Quartier Ephémère qui dirige la Fondation Darlingest à l’origine de la réhabilitation et de la transformation de tout un quartier de Montréal, où se concentrent aujourd’hui les galeries et les centres d’art les plus pointus. Rencontre avec sa Fondatrice et Directrice Caroline Andrieux, pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de ce projet au centre de la réflexion sur la présence de l’art et le rôle de l’artiste au cœur de la ville.
Bonjour Caroline, dans quelles circonstances et quel contexte avez-vous créé La Fonderie Darling il y a une dizaine d’années ?
Caroline Andrieux |
Je suis française et au début de ma carrière d’historienne de l’art à Paris en 1987, j’ai créé et animé avec Christophe Pasquet Usines Ephémères. Cette association avait pour vocation de transformer des bâtiments industriels désaffectés en lieux de création. L’objectif principal était d’aider des artistes et de soutenir la jeune création en mettant à leur disposition des espaces de travail peu coûteux et souvent originaux. Parmi les lieux de création développés dans des sites en déshérence, il y a eu L’Hôpital Ephémère dans l’ancien Hôpital Bretonneau. De 1990 à 1997, l’Assistance Publique-hôpitaux de Paris a autorisé l’association à exploiter les 15 000m2 de ce bâtiment. Transformé en l’un des plus grands centres artistiques européens, l’Hôpital Ephémèrea hébergé des créateurs de toutes les pratiques et de tous les continents. Durant sept ans, l’Hôpital est devenu la résidence de plus de cinq cents plasticiens, de trois cents groupes de musiques et un lieu de référence international. Nous avons eu la visite d’une personne du Ministère de la Culture du Québec. Séduit par ce concept de réhabilitation de sites industriels désaffectés, très nombreux à l’époque, le Ministère de la Culture nous a invité en mission de prospection afin de voir comment nous pourrions mettre au service de la ville de Montréal notre expérience et nos compétences en la matière.
En 1992, nous sommes arrivés dans ce quartier du Faubourg des Récollets où effectivement tout était à l’abandon. J’avais les yeux qui pétillaient car des lieux comme la Fonderie Darling il y en avait une bonne dizaine ! Tout le quartier, qui est pourtant central à Montréal, était complétement abandonné. Il y avait beaucoup d’artistes installés dans cette zone. Je me suis tout de suite rendue compte de l’énorme potentiel des lieux. En rentrant à Paris nous avons travaillé avec mon associé pour développer un nouveau projet à Montréal. Nous avons d’abord obtenu une bourse de l’Institut Culturel Français, puis du Ministère de la Culture de Montréal pour créer en 1993, avec deux québécois, l’association Quartier Ephémère. Ensuite, tout est allé très vite, la ville nous a prêté un bâtiment désaffecté pour cinq ans. A l’époque nous étions sur le vieux port en face du silo n°5, c’était magnifique. Je n’avais pas forcément l’intention de venir habiter à Montréal, mais deux personnes se sont finalement retirées du projet et il fallait choisir entre fermer l’association ou venir s’installer ici. J’ai finalement fait ce pari, car c’était une superbe opportunité et un nouveau défi à relever. Je suis donc venue m’installer avec ma famille et j’ai développé l’association Quartier Ephémère, qui s’est donnée pour mission de soutenir la création, la production et la diffusion d’œuvres d’arts visuels. En investissant divers espaces industriels hors normes, Quartier Éphémère avait pour but de les préserver et les mettre en valeur, tout en offrant des œuvres d’art à un large public. Il s’agissait également d’ouvrir de nouvelles pistes d’inspiration, d’éveiller la sensibilité du grand public à l’art actuel et de modifier la dynamique sociale.
Fonderie Darling © guy l’heureux et l’installation de Claude Lévêque |
Ce concept a bien marché, on a développé dans le quartier pendant cinq ans de magnifiques projets in situ, comme Panique au Faubourg, en 1997, qui a été un vrai déclencheur, puisque Claude Lévêque avait fait une magnifique installation dans cette fonderie. Cet événement a vraiment marqué la nature de notre organisme et nous a permis d’en lancer d’autres tout aussi ambitieux, tels Silophonetransformant les cylindres du silo n°5 en instruments de musique, Tunnel, qui consistait à présenter dans le tunnel condamné Wellington, une installation sonore de l’artiste écossais Marcus Mac Donald, Plan Large, qui investissait des panneaux publicitaires abandonnés… Bref on a développé de nombreux projets dans ce quartier, ce qui a permis de le relancer.
En 1998, nous cherchions de nouveaux locaux, La Fonderie Darling, bâtiment dans lequel nous avions monté l’installation de Claude Lévêque, devait être rasée, alors nous nous sommes installés dans les bâtiments pour militer contre cette décision et récupérer cet édifice pour l’association. On a fini par convaincre les autorités de la ville que ce lieu était idéal pour ouvrir un centre d’art, car il possédait d’un côté un grand espace que nous pouvions dédier à des expositions et de l’autre un espace divisible en ateliers d’artistes. Les deux bâtiments ont finalement été réunis en 2006 grâce au soutien des Ministères de la Culture du Québec et du Canada.
Aujourd’hui on vous prête donc les bâtiments?
Non, l’association a acheté le bâtiment qui héberge les ateliers d’artistes. Pour l’espace qui abrite les expositions, nous avons un bail emphytéotique jusqu’en 2032, avec une option d’achat ferme et exclusive de 400 000 dollars pour notre organisme. C’est bien en dessous de la valeur réelle du lieu et c’est un vrai cadeau de la part de la ville de Montréal pour notre association!
Fonderie Darling, Montréal, bâtiment abritant les ateliers d’artistes |
Comment ce centre d’art est-il financé ?
On a un financement pour 50% privé et pour 50% public. Le budget de fonctionnement représente entre 600 000 et 700 000 dollars canadiens par an. Ce n’est pas une énorme machine. Le comité d’administration qui dirige l’établissement est constitué pour moitié d’artistes ou professionnels de l’art et pour autre moitié de personnes issues du milieu des affaires. On a constitué un conseil d’administration très fort, dont les membres sont bénévoles et donnent énormément de leur temps et de leurs compétences pour faire avancer le projet et le faire grandir dans des conditions favorables.
La Fonderie Darlingest un organisme à but non lucratif très démocratique dans son fonctionnement. Tous les artistes sont choisis par un comité de sélection, tous les comptes sont vérifiés et accessibles. Il y règne une grande transparence.
Combien de personnes travaillent à la Fonderie Darling ?
On est 6 employés et lorsqu’il y a des expositions nous embauchons quelques personnes supplémentaires.
Combien d’expositions par an sont organisées à la Fonderie Darling ?
Nous montons en général entre 6 à 7 expositions par an.
Combien de résidences d’artistes hébergez-vous ?
Il y a au total 12 ateliers. 8 sont réservés pour des artistes montréalais, qui leurs sont attribués pour une durée de 3 ans. Nous sélectionnons pour ce programme des artistes émergents, car nous voulons être un tremplin pour la création montréalaise d’avant-garde. Nous voulons les aider à se lancer et leur faire profiter de notre force, c’est à dire de notre réseau. Nous sommes connus comme un lieu de qualité qui a lancé la carrière de nombreux artistes aujourd‘hui reconnus sur le plan national et international.
Atelier de la Résidence croisée France-Québec. Occupé actuellement par les artistes Aurélie Pétrel et Vincent Roumagnac |
Les 4 autres ateliers sont dédiés à des artistes internationaux. Nous avons des programmes d’échanges avec la France, la Suisse, l’Inde et l’Australie. Nous avons également un programme pour des résidences des Amériques, un programme pour des résidences de commissaires d’exposition étrangers. Nous pensons développer un programme pour le Canada, parce que les artistes de Vancouver ou de Québec ne peuvent pas venir ici pour l’instant, c’est un de nos prochains objectifs.
Les artistes étrangers peuvent-ils postuler tout seul ou doivent-ils le faire via les institutions partenaires ?
Pour la majorité des cas et des programmes les artistes peuvent postuler en direct. Nous tenons à préserver l’originalité de nos choix artistiques. Le comité de sélection choisit selon des critères artistiques propres à la Fonderie Darling.
Combien de temps les artistes étrangers restent-ils ?
Ils peuvent bénéficier d’une résidence, qui selon les programmes, dure entre 2 et 6 mois. L’objectif est de permettre à ces artistes étrangers de s’imprégner, de s’immerger dans la vie culturelle montréalaise, de découvrir de nouveaux horizons propices à leur réflexion et au développement de leur carrière. Nous insistons sur le fait que nous offrons des résidences de création. Libre à eux, durant leur séjour à la Fonderie Darling de produire ou non une œuvre. Nous n’intervenons pas sur leurs thématiques de travail, nous les laissons s’exprimer en toute spontanéité.
Atelier Suisse – actuellement occupé par l’artiste alsacienne Claire Hannicq |
Les artistes étrangers sont subventionnés et ne sont donc pas tenus de laisser une œuvre à la Fonderie Darling en échange de leur résidence.
A l’inverse, les artistes montréalais à la fin de leurs trois ans de résidence donnent une œuvre à la Fondation Darling. Ces œuvres sont soit vendues lors de notre levée de fonds annuelle, elles sont alors exposées au public qui peut les acheter et ainsi participer au financement de notre organisme, soit elles sont offertes à certains de nos partenaires. Cette dernière solution permet ainsi à l’artiste de rentrer dans une collection prestigieuse.
Combien recevez-vous de dossiers par an ?
Nous recevons à peu près 300 dossiers de demandes de résidences et une centaine pour les espaces d’expositions.
Y a-t-il une exposition consacrée aux résidents étrangers ?
A la fin de leur séjour ils sont tenus d’ouvrir leur atelier au public lors de journées portes ouvertes que nous organisons. A cette occasion, les artistes montrent les œuvres réalisées, ou expliquent leur travail. Il nous semble important d’ouvrir la discussion avec le public, car c’est un bon moyen de comprendre la création et le contexte dans lequel les artistes travaillent. Le contact avec l’artiste crée des ponts toujours riches d’enseignements.
Les aidez-vous à exposer à Montréal ?
Oui dans la mesure du possible, et lorsque nous organisons des expositions à la Fonderie Darlingnous les rémunérons. C’est une pratique très nord américaine qui consiste à donner des cachets aux artistes pour exposer. Ce ne sont pas des cachets symboliques ou pour juste payer leurs installations, ce sont des salaires pour leur travail, c’est vraiment très important. Pour les expositions dans la grande salle, les artistes reçoivent 3000 dollars de cachet, auquel on ajoute des bourses de production. Pour financer les installations nous essayons de développer, dans la mesure du possible, des partenariats avec des entreprises ou des institutions.
Fonderie Darling, la Grande salle d’exposition |
Dans le même état d’esprit nous avons développé un programme de parrainage d’ateliers pour les artistes montréalais qui résident à la Fonderie Darling. Normalement, nous demandons aux artistes un loyer de 300 dollars qui permet de couvrir les charges de chaque atelier. Même si ce loyer est modeste, certains artistes doivent travailler à l’extérieur pour le financer et nous souhaitons enrayer ce système. Nous voulons remonter le niveau des arts visuels et pour cela il faut que l’artiste puisse se consacrer pleinement à son travail. Nous avons développé dans cette perspective une collaboration unique entre des collectionneurs, des philanthropes, des entreprises et des artistes, sous la forme d’un parrainage annuel de l’atelier d’un artiste. Ainsi, l’artiste reçoit pendant un an une bourse pour couvrir le loyer de l’atelier et ses dépenses. Ce programme contribue à donner au métier d’artiste un véritable statut. Notre ambition est de faire naître ici une « petite » Villa Médicis, où les artistes puissent se consacrer 100% à leur travail de création. A Montréal les arts visuels sont un peu le parent pauvre de la création artistique. Il y a un certain retard et ce n’est pas évident de trouver des parrains, mais nous avons quand même la moitié des ateliers, donc 4 sur 8, qui sont subventionnés. Parmi les quatre parrainages d’atelier, nous avons la chance d’avoir chaque année celui du Musée des Beaux Arts de Montréal qui offre également à l’artiste qu’il parraine une exposition dans ses bâtiments. C’est une chance énorme de bénéficier ainsi de la notoriété du musée.
Fonderie Darling © maxime boisvert et l’installation est de Thomas Bégin |
Suivez-vous ensuite la carrière des artistes ?
Oui et nous sommes très heureux de voir que lorsqu’ils sont connus par la suite ils nous aident également en retour.
En dix ans combien d’artistes sont passés par la Fonderie Darling?
A peu près une trentaine d’artistes passent à la Fonderie chaque année, tous programmes confondus, donc pour l’instant nous devons être aux alentours de 300…
De quelle exposition êtes-vous la plus fière ?
Panique au Faubourgje crois, car en 1997 nous étions au tout début de l’art in situ, et nous étions très fiers de faire un projet aussi magnifique et fort avec Claude Lévêque.
Quel artiste phare de la scène contemporaine montréalaise d’aujourd’hui, êtes-vous fière d’avoir lancé avec la Fonderie Darling?
Beaucoup, ils sont très nombreux, mais si je devais en choisir un, symboliquement, je dirais Matthieu Beauséjour. En 1995, il a participé à l’opération Quartier Ephémère et maintenant il est dans tous les plus grands musées. Il est très représentatif de notre travail.
Fonderie Darling, Matthieu Beauséjour, exposition Monument, 2007 |
Aujourd’hui, il a un atelier à la Fonderie et cela fait aussi partie de notre mandat de mélanger des artistes émergents avec des artistes plus connus, qui sont des locomotives pour nous aider à faire connaître de plus jeunes artistes. Ce lieu peut-être habité par une exposition d’un artiste de stature internationale comme Dora Garciaet juste derrière par celle d’artistes encore inconnus. C’est ce mélange qui est intéressant et passionnant et qui fait tout l’intérêt d’un lieu comme la Fonderie Darling.
Merci à Caroline Andrieux pour cette interview exclusive pour Follow Art With Me
745, rue Ottawa
Montréal, Québec H3C 1R8
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