BERLIN : « YOU GET IN »
- Posted by Giusy Ragosa
- On 24 avril 2017
Berlin sale, chimique et rythmée par les géométries des blocs de bêton qui animent sa beauté anonyme. Berlin froide, synthétique et animée par l’activité des personnes et des artistes qui l’ont choisie comme lieu de vie et de production créative. Pourquoi ?
Je pose ma valise et sur les conseils de l’artiste italien Riccardo Benassi, je me rends à la JSC – JULIA STOSCHEK COLLECTION BERLIN pour visiter JAGUARS AND ELECTRIC EELS, une exposition composée principalement d’œuvres vidéo.
Je découvre Elaine Sturtevant artiste américaine née dans les années trente, qui avait décidé de s’installer à Paris en 1992.
Dès 1965, elle commence à reproduire les œuvres d’artistes américains tels que Jasper Johns, Roy Lichtenstein et Andy Warhol, elle ne considère pas ses œuvres comme des copies, mais bien comme des répétitions. Elle choisissait souvent des artistes et des œuvres, qui n’étaient pas connus à son époque, mais qui sont devenus aujourd’hui des incontournables.
Deux œuvres sont exposées dans la première salle FINITE/INFINITE et ELASTIC TANGO, dans les deux œuvres la répétition crée un vortex dans lequel nous sommes aspirés.
L’artiste disait “Remake, reuse, reassemble, recombine – that’s the way to go”. Dans l’exposition je découvre aussi ma première passion française Cyprien Gaillard avec une vidéo qui questionne la genesis et la décadence de l’architecture, de l’artefact et du paysage.
KOE est une production qui naît en 2015 en Allemagne pour le solo show de l’artiste à la JULIA STOSCHEK COLLECTION de Düsseldorf. Dans cette vidéo HD, l’artiste suit un ensemble de perroquets verts originaires d’Afrique et d’Asie, importés en Europe comme oiseaux de cage. Ils sont importés en Allemagne en 1960. Ces immigrants du royaume animal ont trouvé leur place dans l’écosystème et l’architecture de Düsseldorf. L’Homme social mène des actions des fois irresponsables et des fois inconscientes, Cyprian Gaillard arrive à nous déclarer ces actions en nous montrant l’impact esthétique que ceux-ci ont sur le paysage contemporain.
Juste à côté encore un oiseau dans l’œuvre MIMESIS AS RESISTANCE de Kader Attia.
Une vidéo nous présente, de manière documentaire, les incroyables capacités de reproduction sonore du menura novaehollandiae, un oiseau spécial qui dans sa danse de séduction reproduit sons et bruits de son environnement, jusqu’à reproduire des sons de flash d’appareil photo ou des bruits de chantier. Pour l’artiste les capacités de cet oiseau incarnent la supériorité absolue de la nature sur la culture. Pour mener à bien sa reproduction, cet oiseau chante aussi l’intervention destructive de l’homme dans son environnement.
Cyprian Gaillard et Kader Attia ont leur studio à Berlin, la curiosité de comprendre pourquoi des artistes choisissent Berlin devient encore plus forte.
Je vais ainsi rencontrer un de mes amis, l’artiste Loris Cecchini, qui a décidé de s’installer dans cette capitale il y a 5 ans.
A Berlin, il pouvait trouver de l’espace mais aussi, comme me l’explique Jade, son amie et bras droit, une communauté d’artistes avec laquelle on se sent en harmonie. Les deux sont très investis dans Peninsula. Loris a créé cette plateforme, avec d’autres artistes, curateurs et critiques, comme un espace de rencontres multidisciplinaires, liés à la scène internationale berlinoise. Malgré cela, Loris me raconte qu’à Berlin on n’a pas vraiment l’impression de construire ou de s’ancrer. A Berlin, la vie est agréable, mais les artistes comme les galeries vendent principalement à l’étranger. Les collectionneurs allemands ne sont pas des plus généreux… A presque 50 ans, Loris dans quelques mois quittera Berlin pour rejoindre Milan, car c’est dans cette ville italienne qu’il se sent vraiment chez lui. C’est à Milan qu’il ouvrira donc son prochain studio, beaucoup plus grand que celui de Berlin, car après 30 ans de carrière, Loris a besoin d’un espace de stockage et d’un atelier encore plus grands.
Au-delà de ce besoin d’espace, il rentre en Italie aussi parce qu’il a besoin d’être proches des artisans, qui ont des compétences techniques utiles à son travail. Il me dévoile que les artisans allemands n’acceptent pas le risque de la recherche prospective, ni la possibilité de se tromper dans le travail, ceci est très limitant pour sa production. Il m’explique ses nouveaux projets en cours, comme l’installation Waterbones pour le Event Pavilion Louis Vuitton à Venise, sûrement quelque chose à voir pendant la Biennale.
Je me laisse conduire pour un tour entre Bulowstrasse et Kurfürstentrasse. Apparemment, depuis quelques années, beaucoup de galeries se sont installées dans ce quartier périphérique, encore « hot », peuplé de sex shops, pour profiter d’espaces immenses à la berlinoise.
Ce qui frappe quand on visite ces galeries, ce sont bien les lieux, plus que les œuvres… C’est le cas pour la BLAIN SOUTHERN. Un bâtiment à couper le souffle, peut-être mon regard apprivoisé par les mètres carrés comptés des galeries parisiennes n’arrive pas à concevoir toutes « ces respirations visuelles» autour des œuvres de la jeune artiste New Yorkaise Amy Feldman.
Idem dans les galeries TANIA LEIGHTON et SUPPORTICO LOPEZ, on retiendra surtout la grandeur des espaces. Ce n’est pas la même chose pour l’exposition METAMORPHOSIS proposée par la Galerie Guido W.Baudach. Au quatrième étage d’un bâtiment quelconque, cinq artistes, de cinq pays d’Europe différents, interrogent la transformation des formes.
On observe tout particulièrement les céramiques de l’artiste tchèque Habime Fuchs et l’installation de génie de Kris Lemsalu. Née en 1985, cette artiste estonienne s’était déjà fait remarquer pour avoir passé son temps dans une carapace de tortue en céramique à l’occasion de Frieze New York 2015.
Entre 2010 et 2013, certaines de ces galeries ont commencé à quitter les alentours de Weinmeisterstrasse pour se concentrer sur la Postdamer Strasse. D’ailleurs, la plupart sont installées dans la même cour, à l’exception de DUVE gallery. Alex Duve, me montre son espace et s’attarde sur la matière de l’œuvre de Jens Einhorn, gaze, colle et pigments.
Vu son enthousiasme à communiquer, j’en profite pour lui poser quelques questions sur sa ville. Il m’apprend qu’à Berlin les galeries changent souvent d’endroit, elles bougent de lieu et d’adresse avec beaucoup de facilité. Ainsi, pour sa part, lorsqu’il a entendu que König Galerie allait s’installer dans une ancienne église du quartier, il n’a pas hésité à bouger également et à se localiser près de cette dernière. Effectivement, si on prend le U-Bahn et que l’on descend à Prinzenstrasse on peut facilement visiter les deux galeries.
Il y a 5 ans le galeriste décide donc d’occuper ce nouveau lieu au Gitschiner Strasse 94/94a (Entrance D, Floor 2). Comme pour les autres galeries de Berlin, il faut vraiment faire preuve d’une certaine motivation pour les visiter, car on se retrouve vite dans une chasse au trésor; perdus dans des cours de bâtiments pseudo-industriels où il faut monter des escaliers et traverser des portes fermées, sans indications, puis par miracle : you get in ! Tu as trouvé !
Des murs blancs accueillent les œuvres dans un modèle classique de « white cube ». Je lui demande si les gens viennent réellement voir des galeries si cachées. Il me répond en en toute honnêteté, qu’ici il vaut mieux être caché que d’avoir une vitrine sur la rue, ça fait le tri ! Les gens qui connaissent le milieu et qui sont vraiment intéressés trouvent les lieux et on évite ainsi les visiteurs « touristes » et leurs questions naïves…
Les collectionneurs aussi ne se déplacent pas forcement jusqu’à la galerie, Alex me révèle qu’il ne vend jamais d’œuvres à Berlin, toutes ses transactions se font à l’international. Je me demande et je lui demande pourquoi rester à Berlin alors ? « Parce que c’est cool de vivre à Berlin et parce que le coût du mètre carré n’est pas cher ».
A dix minutes à pieds de DUVE gallery, nous visitons donc dans la foulée la réputée KÖNIG gallery. Une œuvre de Aleksander Duravcevic composée d’un cheval en taxidermisé orné par l’artiste d’une corne me laisse dubitative…
En revanche une œuvre tant discrète que poétique attire mon attention. Les petites images de la série Glimpse de Roman Ondak, me rappellent quelle est ma place, je me sens apaisée et je comprends pourquoi je suis là en face de ces trois petits dessins.
Je m’attarde également sur les œuvres d’ Anselm Kieffer et de Stephanie Syjuco, mais une fois de plus mon attention est plus attirée par la magie des espaces que par les œuvres exposées.
Je cherche encore et encore, le Berlin underground dont on m’a parlé, mais force est de constater qu’il ne se trouve pas dans les galeries.
Je tente alors ma chance du côté de la musique et spécialement de la musique techno. Je me rends au Berghain, beaucoup d’amis m’ont parlé de cette boîte historique. Naïvement, je m’y rends, je fais la queue et puis à l’entrée on me jette à la figure : YOU DON’T GET IN ! YOU DON’T GET IN ! Là c’est le grand choc ! Je comprends que j’ai un truc, ou bien qu’il me manque un truc ? C’était peut-être mon imperméable à la parisienne, mes petits talons rouges ou bien ma tête ? Au moins cela avait le mérite d’être clair, je ne pouvais pas faire partie de leur monde, chaque forme d’art le postule à sa manière… La « veste » digérée, je décide donc d’aller exister dans mon milieu, celui de l’art contemporain.
Je suis curieuse de visiter les galeries qui n’ont pas déménagées et qui sont restées à Weinmeisterstrasse. Apparemment c’est un quartier très diffèrent. À la sortie du métro, pas de turcs qui vendent de délicieuses soupes aux lentilles, mais beaucoup de magasins de design et de mode. A voir YOU NEED TO READ ME, une librairie spécialisée sur l’art.
Tout suite je rencontre la sur-position des formes carrées et les géométries de Carsten Sievers dans la Galerie EIGEN + ART.
Je cherche encore mon Berlin et je trouve Paris, A different Paris, dans des superbes photos de Horst Schäfer exposées à la Galerie Dittmar.
Je continue, mais je manque d’enthousiasme, puis au fond de la cour, une proposition bénéfique à mes yeux ; de la couleur, du contour noir et une esthétique plus populaire dans les œuvres de Thaddeus Strode à la Galerie neugerriemschneider. Pour voir toute l’exposition on traverse les bureaux de la galerie, je trouve ça étonnant mais à Berlin c’est courant. Souvent les employés des galeries sont installés au milieu de l’exposition, pas d’intimité pour l’envoi de mails ou pour les appels. C’est drôle.
Je rencontre la même situation chez SPRÜTH MAGERS, une galerie incroyable où je trouve ma récompense.
L’immuable Cindy Sherman trouve sa place sur les deux étages de la galerie. Je traverse quatre bureaux et je me retrouve en face d’un bout d’histoire que je ne connais pas, mais que je pense être très dense. Ce lavabo de Edward & Nancy Kienholz capture mon attention et me tiens à lui dans un espace sombre, cette histoire devient, grâce au miroir mon histoire et j’oublie pendant trente secondes mon passé.
Je suis ensuite captivée par l’installation de Oliver Van Den Berg à la Kuckei + Kuckei Gallery. J’aimerais dire quelque chose devant cette installation, mais j’ai l’impression que cela ne servira à rien.
Je n’ai pas encore compris pourquoi Berlin est si attractive! Alors je vais voir le jeune artiste Riccardo Benassi qui est arrivé ici il y a douze ans. Il m’accueille amicalement entre ses ordinateurs.
Je lui demande si Berlin lui permet d’exister en tant qu’artiste : « Qu’est que ça veut dire exister en tant qu’artiste ? Avoir une visibilité ? Ou bien que l’on soit reconnu pour sa pratique artistique ?… Ou plutôt pouvoir respirer ?
Il me confie, « Berlin est une ville qui chaque matin me permet d’avoir une idée nouvelle. Berlin est une ville où l’on produit beaucoup et c’est un croisement international de différentes disciplines. Mon travail touche à la philosophie, à la musique et au visuel, Berlin peut m’offrir l’ensemble ». Riccardo a une pratique très particulière qui manipule les nouveaux media pour pouvoir les dépasser, un artiste oltre-media. Berlin est une base pour lui, il voyage beaucoup, même si l’Allemagne lui offre beaucoup de visibilité, dans les mois prochains il exposera pour Hybrid Layers au ZKM | Zentrum für Kunst und Medien et pour Sleep’n’Spleen au Künstlerhaus Bethanien.
Pourquoi je suis venue à Berlin ? Au Hamburger Bahnhof – Museum für Gegenwart , je comprends en regardant l’œuvre Schechina la raison de mon voyage. On ne peut pas la toucher, car on ne peut pas toucher une émotion, douce et violente. Cette sculpture de Anselm Kieffer donne envie d’embrasser le vide, quitte à se faire mal.
Je la regarde et je tombe amoureuse de ses fragilités.
Toujours à l’Hamburger Bahnof, je me confronte à l’œuvre qui a permis à Adrian Piper de gagner en 2015 le Lion d’or à la Biennale de Venise. Derrière un bureau, une personne me demande si je suis prête à déclarer ce qui est énoncé sur le grand mur gris derrière elle.
Un parcours en trois étapes pour trois déclarations :
I will always be too expensive to buy, (j’ai signé)
I will always do what I say I am going to do, (j’ai signé)
I will always mean what I say (je n’ai pas signé).
Signé GIUSY RAGOSA
Un remercient spécial à Riccardo Benassi, Loris Cecchini et Sabrina Dal Vera.
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