ART BASEL 2016 : UNLIMITED
- Posted by Béatrice Cotte
- On 19 juin 2016
- Foire Art contemporain
Avec ses 98 000 visiteurs en 2015, ses 24 150 m2 d’espace d’exposition et ses 287 galeries, Art Basel confirme en 2016 son statut de foire N°1 dans le paysage du marché de l’art contemporain.
Incontournable, cette foire a notamment su se distinguer de ses rivales avec son secteur UNLIMITED qui développe des propositions monumentales et/ou hors normes, le tout « curaté » par un commissaire d’exposition.
Depuis cinq ans, Gianni Jetzer, conservateur au Hirshhorn Museum de Washington D.C., sélectionne parmi les œuvres proposées par les galeries exposantes sur la foire, des sculptures, peintures, dessins, photographies, installations, performances et vidéos d’artistes internationaux renommés, afin de créer une plateforme unique et originale d’exposition. Chaque année, Art Basel UNLIMITED livre ainsi une proposition qui donne le ton de chaque édition de la foire et contribue à renforcer son ADN.
Fondé en 2000, ce secteur est en effet devenu au fil des ans un élément phare du « show », permettant aux galeries de sortir de l’espace « contenu » de leur stand et de proposer à la vente des œuvres plus grandes et plus ambitieuses, historiques ou récentes, voire spécialement conçues ou réactivées pour l’occasion. Un vivier d’œuvres exceptionnelles, destinées à être achetées par des institutions, musées, fondations ou collectionneurs privés disposant de grands espaces ou de vastes jardins!
Les 88 œuvres présentées en 2016, un record (soit 14 de plus qu’en 2015), prennent place dans les 16 000 m2 du hall 1. Entièrement dédié à cette section, l’immense hall abrite une vision « grand format » de l’art « mondial » de ces 60 dernières années.
Parmi l’ambitieuse proposition de Gianni Jetzer, l’œuvre qui marquera sans nul doute l’édition 2016 est l’installation immersive The Collector’s House, d’Hans Op de Beeck spécialement conçue pour l’événement. Dans le registre vidéo, Notes Towards a Model Opera (2015) de William Kentridge arrive également en tête de mon best off. Enfin, dans le registre performance, je décerne une « mention Très Bien » à celle de Davide Balula.
BEST OFF 2016 par catégories d’œuvres :
PERFORMANCES :
Mention très bien donc pour la mystérieuse performance Mimed Sculptures (2016) proposée par Davide Balula (né en 1978). Habillés de gants rouges, plusieurs personnes se déplacent autour de piédestaux blancs, recevant des sculptures invisibles. Chacune mime les contours de l’une des sept oeuvres iconiques de l’art moderne choisie par l’artiste (Louise Bourgeois, Alberto Giacometti, Eva Hesse, Tony Smith, Barbara Hepworth, David Smith, and Henry Moore). Une performance originale qui fait appel à la mémoire visuelle du visiteur pour reconstituer mentalement le volume entier des sculptures citées. Une œuvre qui convoque avec une certaine élégance la mémoire des sens afin de toucher du doigt la pureté de l’art.
VIDEOS /FILMS :
Une petite dizaine d’espaces sont consacrés cette année à des vidéos. Malheureusement, certains films projetés durent plusieurs heures (Ho Tzu Nyen) et il s’avère difficile de tout voir en une seule visite ! On peut d’ailleurs se poser la question de la pertinence d’un tel choix ?
Parmi les vidéos que j’ai pu regarder dans leur intégralité, je donnerai une mention spéciale à Notes Towards a Model Opera (2015) de William Kentridge (né en 1955). Une œuvre engagée, visuellement très forte, qui fonctionne comme un triptyque et fait écho à l’œuvre de Goya et aux images des victimes de l’inquisition.
Plus poétique, la vidéo Warmth (2016) de Colin Siyuang Chinery (né en 1971), qui est inspirée d’une légende chinoise, selon laquelle un empereur de la dynastie Qing aurait demandé à l’un de ses serviteurs de faire voler des papillons en hiver. La vidéo montre un homme âgé, visitant une maison abandonnée du Beijing d’aujourd’hui. Durant sa visite l’homme s’adonne à une cérémonie secrète. On le voit faire bouillir de l’eau dans un grand récipient, la vapeur qui s’en dégage permet à cet homme de faire voler des papillons. L’oeuvre évoque selon l’artiste le concept de la contrainte idéologique et de liberté.
Enfin, The Music of Regret (2006), le premier film de Laurie Simmons avec Meryl Streep et des marionnettes, explore en trois actes les sentiments de la jalousie, de l’ambition et du désir. On se laisse bercer par les chansons du film qui nous transportent dans son univers d’émotions.
INSTALLATIONS/ŒUVRES SCULPTURALES :
Une émotion silencieuse, celle la, se dégage de la somptueuse installation immersive The Collector’s House (2016) d’Hans Op de Beeck (né en 1969). Le visiteur est invité à entrer dans une immense pièce, où l’artiste a reconstitué un intérieur de maison classique et entièrement monochrome. Autour d’un bassin intérieur où « flottent » des nénuphars, se déploient un salon bibliothèque, un grand piano, un musée de sculptures emplis de références artistiques. Sculptés dans le plâtre coloré en un gris sourd, quelques personnages « figés » dans la couleur de la cendre peuplent se paysage « pompéien ». Le visiteur est plongé dans une œuvre fiction profondément mystérieuse !
Quelques mètres plus loin, les valises suspendues dans les airs de l’artiste japonaise Chiharu Shiota (Née en 1972) happent le regard. Cette installation, intitulée Accumulation : Searching for Destination (2014-2016), avait été exposée dans de plus petites dimensions à Paris en 2014 à la Galerie Daniel Templon. Elle prend ici, au regard de l’actualité récente autour des migrants une toute autre dimension. L’évocation symbolique de l’exil, du voyage souligne d’autant plus tragiquement l’absence et la mort.
La mort justement de l’artiste brésilien Tunga (1952-2016), la semaine dernière, transforme la présentation de son œuvre Eu, você e a lua (Me, you and the moon) (2014) en un hommage touchant d’Art Basel à sa carrière. Cette sculpture faite de matériaux organiques et géologiques, naturels et fabriqués par l’homme, anciens et nouveaux, fonctionnels et allégoriques, fonctionne comme une œuvre symbolique qui explore la relation entre le langage, l’image et l’objet. Une installation lyrique, pleine de majesté.
Majestueuse aussi l’œuvre Gli (Wall), d’El Anatsui (né en 1944). L’artiste transforme des matériaux « pauvres » issus des échanges commerciaux postcoloniaux, comme des capsules métalliques de bouteilles de bière en de somptueuses « tapisseries murales ». A Bâle, l’artiste joue avec les transparences et les superpositions de grands pans de « murs ». Dans la langue Ewe du Togo Gli veut dire mur. Le titre de l’œuvre évoque l’ambiguïté des différentes fonctions que l’on attribue à un mur. Tour à tour, il sépare, il protège, il divise…Ici le maillage espacé des pièces métalliques dévoile, plus qu’il ne cache et transforme un matériau de la consommation courante en une œuvre « scintillante ».
Out of Ousia d’Alicja Kwade, chahute notre perception de la réalité. Un grand mur en béton forme une croix avec d’un côté une baie vitrée et de l’autre un double miroir. De part et d’autre de la baie vitrée, une branche et son exacte copie en métal, joue avec la notion de reflet, tandis que de part et d’autre du double miroir des pierres se reflètent réellement. Une œuvre intrigante que l’on ne peut pas appréhender d’un seul regard et qui demande d’en faire le tour pour en comprendre toute la subtilité aristotélicienne !
Deux œuvres basées sur des systèmes de caméras de surveillance et de reconnaissance faciale interrogent le visiteur. La plus dérangeante est celle de Rafael Lozano-Hemmer et Krzysztof Wodiczko qui enregistre et retransmet en direct sur les murs de la salle toutes les images des visiteurs qui entrent dans l’installation. Dans Zoom Pavilion (2015) chaque personne est reliée sur l’image par une flèche à son voisin et un commentaire (ami, potentiellement intéressé…) rédigé par un ordinateur qui définit arbitrairement une relation à l’autre selon son positionnement dans l’espace. Une façon efficace de pointer du doigt les dangers relatifs à ces technologies de contrôle. La même thématique est abordée de façon plus esthétique et sculpturale par Tony Oursler (né en 1957) dans Template/variant/friend/stanger, 2014.
Enfin, une œuvre pince-sans-rire qui tourne en dérision le marché de l’art, on adore ! Le duo nordique Elmgreen & Dragset nous fait entrer dans un espace plongé dans le noir pour un duel « sonore » des plus réussis. Se font face à face deux salles de ventes aux enchères vides et leur pupitre de commissaire-priseur. Seules les voix des deux commissaires-priseurs levant les enchères raisonnent à nos oreilles, tel un duel de surenchère sans fin ! Secondary (2015), fait bien évidemment référence à la course aux records que se livrent les maisons de ventes aux enchères et pointe du doigt tous les excès du marché de l’art. Qu’elle est la vraie valeur de l’art ?
Installations décevantes :
A côté de l’émotion provoquée par Hans Op de Beeck, l’installation elle aussi monochrome d’Anish Kapoor, Dragon, composée de huit pierres japonaises recouvertes de bleu de prusse fait finalement pâle figure…
Alors que depuis février dernier, l’artiste s’est approprié l’exclusivité du Vantablack, variété de noir dont la capacité à absorber à 99,96% la lumière est exceptionnelle, les galeries Gladstone et Lisson, proposent de redécouvrir une œuvre datée de 1992, très « bleu Klein », dommage…
Les œuvres de Kader Attia, de Wolfgang Tillmans et Nina Canell, ne sont pas formellement à la hauteur des thématiques quelles abordent. J’ai notamment préféré l’œuvre de Nina Canell, présentée sur le même sujet (la conduction et la mémoire des informations des nouvelles technologies) en septembre dernier à la Sucrière lors de la Biennale de Lyon.
PHOTOGRAPHIES :
Très peu d’espaces sont consacrés à la photographie, parmi eux, l’espace dédié à la série iconique House Beautiful : Bringing the War Home (1967-1972) de Martha Rosler est le plus remarquable. Les 20 photomontages créés au moment de la guerre du Vietnam, insérant des images de LIFE magazine de vietnamiens mutilés dans des photos de luxueux intérieurs américains tirés de House Beautiful sont tous déstabilisants. Ils invitent le « regardeur » à reconsidérer notre façon d’appréhender les informations livrées par les médias. Comment peut-on regarder à la télévision les horreurs de la guerre confortablement installés dans notre canapé ? Cette façon de confronter et de marier à la fois dans une même image la beauté et l’atrocité de notre société s’avère très impactant.
PEINTURES :
Quelques peintures monumentales ornaient les cimaises d’Unlimited, Pierre Alechinsky, James Rosenquist, Ding Yi, Frank Stella, Peter Halley…Parmi ces œuvres historiques et récentes pas de coup de cœur dans ce registre…
DESSIN :
Pour terminer cette sélection, je retiendrai dans le domaine des œuvres graphiques, Eye of Ra (2004) de Julie Mehretu (née en 1970), un wall drawing à l’encre de plus de 4 mètres sur 5. L’œil de Ra est associé dans la mythologie égyptienne au feu et aux flammes. Dans son oeuvre l’artiste à l’aide de lignes énergiques traduit une explosion, donne le sentiment du mouvement, d’un nuage de fumée qui arrive sur nous. Une création bouillonnante, une vision personnelle, un trait particulier, qui nous touche et traduit bien à nos yeux l’ambiance éruptive de notre monde actuel.
ART BASEL 2016
Messeplatz, Bâle.
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