Artissima 2015 – Focus sur 5 jeunes artistes
- Posted by Béatrice Cotte
- On 1 décembre 2015
- Antoine Levy, Artissima, Bugada & Cargnel, Davide Balliano, Foires, GB Agency, http://pjota.flavors.me/, Iza Tarasewicz, Jérôme Poggi, Judith Hopf, Ricardo Rendon, Sultana
Artissima 2015 : Compte rendu de la foire
La foire italienne Artissima s’est déroulée du 5 au 8 novembre 2015 à Turin. Regroupant plus de 200 galeries venues de 35 pays, la foire s’affiche pour sa 22ème édition comme une foire internationale d’envergure. Ces dernières années, en effet, elle avait gagné en qualité et reconnaissance du point de vue des professionnels de l’art contemporain. Cependant aujourd’hui, le trop grand nombre de stands trahit un manque de sélectivité évidente, qui donne au final un niveau très inégal…
Cette année, la foire comptait 66 galeries italiennes, le plus gros contingent, 27 galeries françaises, 21 galeries allemandes, 19 galeries anglaises, 10 galeries américaines. On note la forte représentation hexagonale, avec notamment quelques galeries très pointues comme Jérôme Poggi, GB Agency qui participent à la Fiac, ou les dynamiques galeries Sultana et Antoine Levy à l’origine du grand succès de Paris Internationale. Artissima, s’avère être également l’occasion pour les galeries « écartées » cette année de la prestigieuse Fiac, comme Bugada & Cargnel, de trouver à l’automne un événement commercial de « substitution » pour rayonner en Europe.
Dans le grand hall d’exposition du Lingotto, les galeries de la section principale étaient réparties de part et d’autre de deux sections « Present Future », tournée vers l’art émergent, et « Back to the Future » consacrée à des redécouvertes d’artistes cultes ou oubliés. Confiées à des commissaires d’expositions, ces deux sections formaient la colonne vertébrale de la foire! Deux sections qui lui donnaient son véritable ADN, sa couleur et sa pertinence, permettant de passer sur des propositions parfois bien moins inspirées dans le reste des allées.
Lors de la journée de Preview réservée aux VIP, l’ambiance était plutôt calme et sans grande effervescence. Au final, peu d’étrangers semblaient avoir fait le déplacement…
Parmi les + de cette foire, notons la présence d’un bon nombre de galeries des pays de l’Est (5 galeries polonaises, 3 galeries roumaines, 2 galeries tchèques, 1 galerie albanaise), peu représentées lors des foires parisiennes, et qui permettent notamment pour la Pologne de se faire une petite idée de la scène contemporaine émergente qui s’active à vitesse grand V et qu’il est intéressant de suivre à cette occasion.
L’objectif de ce site étant de mettre en avant la création de jeunes artistes, j’ai sélectionné lors de ma visite 5 artistes internationaux, âgés entre 27 et 45 ans, qui ont tout spécialement retenu mon attention sur Artissima.
DAVIDE BALLIANO
Pour faire honneur à la ville de Turin, qui accueille cette manifestation, commençons par un enfant du pays, Davide Balliano, né en 1983 à Turin et qui vit et travaille aujourd’hui à New York. Sa galerie londonienne Timothy Taylor, exposait dans la section générale un ensemble d’oeuvres peintures et sculptures de l’artiste, révélant sous une mise en scène épurée, un minimalisme extrêmement efficace. Ce Plasticien, photographe, performeur, est un ancien assistant de Marina Abramovic. Cet artiste, quel que soit le médium qu’il emploie, est toujours dans son travail à la recherche d’ordres cachés, d’équilibres intrinsèques et de notions de proportion.
Pour ses nouvelles peintures abstraites, l’artiste peint des compositions géométriques en noir et blanc, sur des panneaux en bois préparés au Gesso. L’extrême rigueur des formes géométriques dessinées , arcs et lignes parallèles qui se répètent, contraste avec les traces floues, la texture, laissées par la main de l’artiste lors de la réalisation de sa peinture. Ces oeuvres reflètent sa recherche à la fois plastique et méditative sur les structures cachées, la ligne, la forme et la couleur. Les courbes s’inspirent des arches d’architectures antiques et explorent la notion du temps qui passe. L’artiste ne conçoit pas d’exposer une seule oeuvre, car il trouve cela réducteur au regard de sa pratique pluridisciplinaire. Il aime faire dialoguer les médiums et ici la sculpture entre en résonance avec la peinture. La forme du U, souvent présente dans ses peintures, se retrouve dans ses sculptures en céramique et instaure le dialogue, le fil conducteur entre les différentes oeuvres. Les trois « moitiés » de cuves, de dimensions différentes, sont disposées selon un ordonnancement très réfléchi. Il émane ainsi du stand un équilibre parfait, une pureté puissante, une force délicate. Cette approche minimaliste des formes et des concepts révèle une réflexion profonde qui s’inscrit dans la tradition du réductivisme et d’artistes comme Robert Mangold et Wade Guyton.
PAOLO NIMER PJOTA
Né en 1988 à San José de Rio, cet artiste brésilien vit et travaille à Sào Paulo. Cette étoile montante de la scène artistique brésilienne est représenté par la Galerie Mendes Wood. Déjà collectionné par les plus grands collectionneurs (Pinault, Rubell…), ce jeune artiste avait fait sensation lors de la Biennale de Lyon en 2013 en recouvrant la façade de la Sucrière d’une oeuvre de 1000m2. Encore à Lyon, en 2014, une salle du Musée d’Art Contemporain lui était consacrée dans le cadre de l’exposition Imagine Brazil.
Sur Artissima, sa galerie lui consacrait un solo show très remarqué. L’ensemble des grandes oeuvres ayant été vendues lors du vernissage et de la preview…
Ayant fait ses armes dans les rues de Sào Paulo, en pratiquant le street art et le graffiti, il a délaissé la bombe de couleur pour le pinceau et s’est installé dans un atelier. Cependant, la ville reste pour Paolo Nimer Pjota une forte source d’inspiration, ses textures, ses matériaux, ses couleurs sont autant de références pour son travail d’aujourd’hui. Son iconographie riche et variée, revisite aussi bien les figurines des héros de cartoons que des natures mortes d’artistes hollandais. De la rue, il a gardé un « phrasé » et des matériaux. Ses oeuvres sont généralement de grands formats, peintes sur des toiles et des morceaux de métal récupérés dans la rue. La toile se juxtapose à la tôle sous forme de diptyque, auquel il ajoute parfois un objet, comme sorti du cadre, posé en dessous, qui finalise l’ensemble et lui donne une autre dimension. Là, comme chez Davide Balliano, le dialogue s’instaure entre les matériaux et les formes. Ses compositions, si elles laissent une part au hasard, abordent cependant toutes des sujets socialement engagés et explorent notre relation à l’histoire et à la ville.
Ces storrytellings, n’abordent pas le sujet de manière littérale. Ces oeuvres sont à la fois métaphoriques et suggestives, elles mettent en scène une iconographie très riche, familière des symboles de notre époque, plantes, objets anciens, contemporains, trouvés, mots, se côtoient sans hiérarchie, se marient ou s’opposent suggérant au spectateur tour à tour, attraction ou répulsion.
Paolo Nimer Pjota, invente une nouvelle narration, à la fois esthétique, urbaine, sociale et poétique, qui laisse la part belle à l’imagination du spectateur…
IZA TARASEWICZ
Cette artiste polonaise, né en 1981, est l’heureuse gagnante du Prix 2015 « Views » de la Deutsch Bank en Pologne. Un des plus importants prix dans ce pays. Diplômée de la réputée école d’art de Poznan, elle crée des installations « vivantes » dans l’espace qui combinent éléments organiques et objets. L’artiste sollicite la dimension cognitive de l’art dans ses oeuvres et l’opposition entre le naturel et l’artificiel, le masculin et le féminin, la vie et la mort, l’ordre et le chaos.
Dans son installation, présentée par la galerie varsovienne BWA Warszawa dans la section Present/Future, Iza Tarasewicz mélange ainsi différents matériaux comme le métal, des cordes de chanvre plastifiées, avec des matières vivantes comme des champignons. L’oeuvre, un grand corps aérien, évolue et se transforme au cours de la foire pour nous parler d’âme et de matière, de changements imprévisibles. Les tiges droites auxquelles sont suspendues les objets inertes symbolisent la chute, l’attraction terrestre. Mais tout n’est pas linéaire et inerte, Iza Tarasewicz fait ainsi directement référence à travers son oeuvre au De rerum naturae de Lucrèce.
« Voici encore, en cette matière, ce que je veux te faire connaître. Les atomes descendent en ligne droite dans le vide, entraînés par leur pesanteur. Mais il leur arrive, on ne saurait dire où ni quand, de s’écarter un peu de la verticale, si peu qu’à peine on peut parler de déclinaison. Sans cet écart ils ne cesseraient de tomber à travers le vide immense, comme des gouttes de pluie ; il n’y aurait point lieu à rencontres, à chocs, et jamais la nature n’aurait rien pu créer. […]
« Qu’un rien dévie en quelque chose de sa ligne, qui serait capable de s’en rendre compte ? Mais si tous les mouvements sont enchaînés dans la nature, si toujours d’un premier naît un second suivant un ordre rigoureux, si par leur clinamen les atomes ne provoquent pas un mouvement qui rompe les lois de la fatalité, et qui empêche que les causes ne se succèdent à l’infini, d’où viendrait donc cette liberté accordée sur terre aux êtres vivants ; d’où viendrait, dis-je, cette libre faculté arrachée au destin, qui nous fait aller partout où la volonté nous mène ? […]
Ainsi, émane de l’installation une force invisible, créatrice, une culture vivante, une structure quasi organique, un corps sans organe qui se suffit à lui-même…
L’artiste qui a étudié la médecine, expérimente à travers ses installations une sculpture plus vivante que classique, inspirée des bio sciences. Son installation a été vendue dès premier jour de la foire à un collectionneur privé et sera montrée lors d’une exposition collective à Modène en mars prochain à côté d’oeuvres de compatriotes renommés comme Balka et Althamer, une artiste à suivre de près!
RICARDO RENDON
Né en 1970 au Mexique, Ricardo Rendon vit et travaille à Mexico. Sa première exposition personnelle en France remonte à 2010 à la Galerie JGM. On a pu également voir son travail lors de l’exposition de la collection Isabel et augustin Coppel à la Maison Rouge en 2008. A Artissima sa galerie mexicaine, Arroniz, exposait deux oeuvres/sculptures/installations de l’artiste. L’une appliquée sur un des murs du stand, dessinait à l’aide d’un fil à plomb un tableau géométrique de lignes, l’autre posée au sol, très aérienne et élégante, développait des tiges de métal terminées par des sculptures en bois tourné. L’artiste a pour habitude de travailler avec des matériaux issus de métiers artisanaux et de laisser sur ses oeuvres la trace de l’objet manufacturé. Il répertorie et documente ses différents procédés de travail et présente son art comme un fait et une preuve du procédé de création. Il multiplie les solutions formelles à partir des mêmes matériaux et propose un langage de formes à la fois conceptuel et esthétique.
JUDITH HOPF
Finissons ce petit tour d’Artissima avec une oeuvre qui combine humour et critique des normes de la société, celle de l’allemande Judith Hopf, née en 1969 et représentée par la galerie munichoise Deborah Schamoni. Un mouton carré, bloc de polystyrène, sur 4 tiges en métal et une échelle de piscine, ne menant nul part, se liquéfiant sur le sol bétonné du stand, voilà de quoi sourire et s’interroger un moment sur le sens à donner à ces oeuvres.
En jouant avec l’absurde, Judith Hopf résiste à la conformité, à la rigidité des conventions sociales, tout en restant accessible. Généralement présentés en troupeaux ses moutons sont emblématiques de son oeuvre. Leur forme géométrique, leur tête « cartoon » dessinée au charbon sur l’une des faces du cube, leur expression sympathique les rendent comiques et attachants. Conçus avec peu de matériel, clin d’oeil au minimalisme et à l’Arte Povera, ils nous représentent individuellement en société et font référence à la vision du monde développée par Claude Lévi-Strauss, Rousseau ou Berger. L’artiste nous invite à une identification anthropomorphique avec ces animaux « domestiques ». Faut-il les considérer comme des miroirs de nous même ou comme des marqueurs de notre capacité à nous différencier socialement au sein d’un groupe?
Avec l’échelle, on s’enfonce vers le « no where », on bute dans notre élan, l’imagination prend cependant le dessus et on sourit du comique de la situation…Au final on plonge totalement dans l’oeuvre de cette artiste allemande vivant et travaillant à Berlin, qui transforme avec humour et finesse des situations quotidiennes ou des matériaux communs en expressions des valeurs humaines.
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